mardi 25 mars 2014

Michèle Torr chante pour rire


Michèle Torr n’est pas connue pour chanter des chansons drôles. Elle n’a pas du tout l’image d’une chansonnière, ni d’une chanteuse rigolote. Elle n’est pas dans la lignée d’une Annie Cordy, c’est certain. Elle n’a pas non plus l’ironie parfois cruelle d’une Lynda Lemay. Il n’empêche que, tout au long de sa carrière, alors qu’elle dit elle-même préférer chanter l’amour malheureux, elle a enregistré un certain nombre de titres que l’on pourrait qualifier d’amusants, et même d’humoristiques pour certains. 


Michèle Torr a commencé sa carrière en 1964, en pleine période yé-yé, et c’est la légèreté qui caractérise ce mouvement: ce sont souvent des adaptations de morceaux venus d’Amérique ou d’Angleterre que reprennent de tout jeunes chanteurs, et les paroles des chansons sont souvent sans conséquence.
Faire la liste des chansons de ce type qu’a interprétées la jeune Michèle Torr, à qui sa maison de disques demandait de chanter dans une tonalité qui n’était pas la sienne pour être à la mode, des paroles dans lesquelles elle ne se reconnaissait pas vraiment, serait inutile. On peut cependant en retenir deux : C’est dur d’avoir seize ans, sur son premier 45 tours en 1964 : elle fait sourire, cette jeune fille pour qui les questions les plus importantes sont la hauteur des talons et le choix du moment où elle va se laisser embrasser!   Et on apprend, non sans amusement, que les jeunes filles en viennent à ne pas se laisser embrasser par celui qui leur plaît pour aller finalement dire…Oui, et non pas Non à tous les garçons ! (1965, EP La grande chanson).


Deux chansons amusantes sont sorties en 1966 sur l’EP Dandy : la chanson Dandy, tout d’abord, est le portrait narquois d’un séducteur qui se croit irrésistible mais risque bien de finir… tout seul (l’original est une chanson des Kinks), et J’aime esquisse celui d’un homme séduisant par les blagues qu’il fait et les bévues qu’il commet (dévorer la pâtée du chien, sauter par la fenêtre à pieds joints ou repeindre en vert les plafonds).


Sur l’EP Only you en 1967, Ça c’est pour moi est le portrait d’une sorte de Miss Catastrophe qui accumule les gaffes et les maladresses en tous genres, entre autres chanter des chansons qui ne tiennent pas debout !


En 1968, la célèbre Calamity Jane est momentanément éclipsée par une dangereuse Lady Winchester, « la divine des divines » qui « tire les coeurs à la carabine » car elle aime bien « tuer le temps ».

En 1970, une jeune femme éconduite par son amoureux se console en proclamant: Je vais faire sauter la banque, pour ne pas faire mentir l’adage selon lequel si l’on est heureux au jeu, c’est que l’on est malheureux en amour.



En 1976, sur l’album Je m’appelle Michèle, Caddy Baby nous raconte l’histoire d’une jeune femme qui, dans un supermarché, s’amuse de la naïveté d’un « homme facile » -bien sûr que cela existe aussi !- dont elle feint d’accepter les avances pour le laisser à la fin tout seul avec… un caddy plein, tandis que Mets un tube dans ton piano évoque le pouvoir de la musique de faire oublier tous les soucis en convoquant tout un bestiaire surréaliste au cœur des instruments de musique (lion, puma, léopard, zèbre).


Mais les deux albums, moins connus que d’autres peut-être, qui contiennent le plus de chansons amusantes (ils forment un vrai diptyque et auraient d’ailleurs mérité une édition en double album), ce sont I remember you (1987) et Je t’avais rapporté (1988).


  En 1987, Michèle Torr, qui a quarante ans exactement, change de maison de disques, mais pas d’équipe, et le nouvel album est annoncé comme celui d’un retour en force. Belle pochette en noir et blanc, très soignée, très glamour : une pose un peu frileuse, un regard détourné, rêveur. Des chansons variées : un premier extrait très classique mais avec un refrain accompagné d’un saxophone un peu jazzy, omniprésent. C’est I remember you. Un exotique Carnaval à gogo, un Sixtees  au son Live. Des chansons tristes et émouvantes aussi : Fleur de mai, Les mots pour te dire, signée Michèle Torr, en hommage à sa mère, qu’elle avait créée à l’Olympia en janvier de la même année, et Les choses de la vie, signée Romain Vidal pour la musique.


Mais c’est en écoutant les autres chansons qu’on comprend le concept : les lèvres rouges d’abord, dessinées sur la photo en noir et blanc, sont un sourire, et ce disque est en fait une parodie : Michèle se moque doucement d’elle-même et de la chanteuse aux chansons « rose bonbon » qu’elle est devenue et à laquelle se réduit injustement son image. Par ailleurs, elle a pris l’habitude de clore ses albums par une chanson « rouge passion »,très lyrique, qui traite de la passion amoureuse de façon parfois excessive: Mélancolie femme en 1981, Romantique féminine en 1983 (face A),La passionaria en 1984, Reviens en 1985 …L’album I remember you est en fait construit sur l’alternance de chansons à prendre au premier degré, et d’autres au second : c’est le cas de I remember you , de C’est dur d’avoir seize ans,  repris l’année de ses quarante ans, de Et toute la ville en parle  où sont évoquées de façon très théâtrale les amours d’une star qui voit sa vie étalée dans les journaux. Cette chanson sera le deuxième extrait sorti en 45 tours, avec une pochette en forme d’article de journal; avec I remember you  elle  montre bien les deux faces de la vie d’une vedette : le glamour et le scandale, l’art et le saccage de la vie privée. Il y a aussi le très drôle Toi émoi  sur l’infidélité et comment la dépasser : on y entend dans les couplets une femme acrimonieuse, probablement trompée, qui accueille son mari dans l’entrée au moment où il rentre, en pleine nuit, et elle l’accable de reproches, tandis que dans le refrain, sont énumérés des titres de films dans lesquels la passion amoureuse est évoquée dans toute sa splendeur. Entre le quotidien et l’expression artistique l’écart est parfois grand ! Mais tant pis : « Same player  shoots again ! »dit la dame (car il n’y a pas de mal à se faire du bien).  Et pour finir le génial Tu ne vaux pas une larme  signé Torr/ Mecca, chanté avec une voix de tête surprenante, celle de la harpie faisant sans cesse des reproches à son mari, caricature et métamorphose de la gentille mère de famille d’Emmène-moi danser ce soir : « Même ton chien est content que tu quittes la maison, même pas tes amis ne te réclameront ». Monsieur n’a pas la côte à la bourse de l’amour !


Les lèvres rouges étaient le symbole de cette autodérision. Mais qui l’a dit dans la presse ou à la télé ? Qui a salué cet album pour ce qu’il était vraiment ? Pas grand-monde, et c’est bien dommage. On a seulement pu lire dans Télé Poche, un article titré Michèle Torr : à 40 ans, je veux enfin vivre, dans lequel elle disait avoir chanté certains titres de cet album « pour [s]’amuser »…


Puis la promotion de Et toute la ville en parle  a vu se transformer les fausses larmes en vraies car, Michèle Torr l’a dit plus tard, elle voit dans sa chanson le reflet de sa vie et n’a plus le cœur à en rire ni à la chanter. Alors qu’elle aurait dû devenir l’un des plus gros tubes de Michèle, elle est reléguée à l’oubli …pour quelques mois, avant qu’elle ne soit reprise par Margaux.  Ou pour  quelques années, avant que Michèle ne reprenne elle-même « sa » chanson, « ma chanson », à l’Olympia, en 1996.
   De même Tu ne vaux pas une larme  sera reprise sous le titre Dans le blues de l’amour  sur l’album Seule (1997), chantée très différemment, beaucoup plus bas, tout en puissance et en colère. Les paroles sont à peine retouchées : la bourse de l’amour devient le blues de l’amour, et la dame paraît beaucoup plus en colère, plus orageuse. Beau succès en concert pour cette chanson aussi drôle par le traitement du thème que forte scéniquement dans cette deuxième version. 


   En 1988 est sorti  Je t’avais rapporté, deuxième disque, deuxième face du même concept : Michèle en smoking crème sur la pochette fait son cinéma : simulation d’une pellicule. Au verso, une photo dans une loge, robe noire (ce sont des tenues qui ressemblent beaucoup à celles de l’Olympia 87), séance coiffure. Le même graphisme, les mêmes lettres rouge passion pour le nom de l’artiste. Sur ce disque c’est sur la face A que s’enchaînent les parodies. Je t’avais rapporté  annonce la couleur : « Je t’avais rapporté des bouquets d’orchidées du plus rouge éclaté », « … des musiques nouvelles ». Je suis love , Sentiments , Passion fatidique  (avec une voyante guettant l’arrivée de l’homme idéal dans sa boule de cristal, les cartes et les astres avant…le suivant !), Puisque c’est un adieu  (très drôle, l’idée de la femme qui court après son amant en faisant le tour de la Terre … dans l’autre sens pour être sûre de le croiser à nouveau!), Je pense à vous  (face B et deuxième extrait en 45 tours) sont des chansons qui fonctionnent aussi bien au premier qu’au deuxième degré. 



Puis viennent des chansons plus intimistes et émouvantes : Où est ton étoile (hommage à Elton John), Partir un jour, Le chemin de bohème. Avant de se terminer par l’étrange Touchez pas à ma ville.


    En 1989 est sorti Argentina  (45 tours + 33 tours compilation des deux précédents) et l’Olympia de janvier 1990 a été annulé. Graves problèmes de santé. Dans ce spectacle, Michèle aurait-elle joué la carte de la parodie ? Comment ? Puis il y a eu, été 1990, la séparation de Michèle et Vidal. Et toute la ville en a parlé, comme dans la chanson. Auparavant, Victime de l’amour,  au printemps, a été le dernier 45 tours de Michèle chez Zone music/ Charles Talar. Car de ce qui fait rire on peut aussi pleurer (et vice versa).



C’est aussi dans ces années-là que Michèle Torr a participé plusieurs fois aux émissions de Patrick Sébastien (Sébastien c’est fou, Carnaval, Farandole) et qu’on l’a vue, diversement grimée, chanter Etienne, de Guesh Patti, Eddy sois bon en rockeuse toute de cuir noir vêtue, Paroles, paroles de Dalida et Alain Delon, mais aussi parodier Anne Sinclair, ou en facteur, en candidate à la présidence de la République, et même en David Bowie…


En 1995, sur l’album A nos beaux jours, (Même ta femme a) Des états d’âme est une chanson très souriante qui, sur un rythme plaisant et enlevé, sur le même thème qu’Emmène-moi danser ce soir,  vise à faire comprendre aux maris qu’ils doivent prendre soin de leur femme, car elle mérite d’être traitée « juste aussi bien que la télé ». Souriante, vraiment ?


 Depuis, Michèle Torr n’a pas cherché à continuer d’explorer cette voix de l’humour. Elle a plutôt choisi de donner des couleurs festives à ses tours de chant, avec des chansons comme Le pont de Couthézon, La Fille du soleil, Côté soleil (la couleur des mots), Toutes ces nuits, la reprise de Cette année-là de Claude François ; elle a tout de même chanté C’est dur d’avoir seize ans et Dans mes bras oublie ta peine en 2008, Non à tous les garçons en 2011, à l’Olympia, où elle a livré une version Western de Je m’appelle Michèle pour en rappeler l’origine Country (Rhinestone cow-boy) et le boulevard des Capucines a pris des airs de Far-West. Autant de clins d’œil amusés au passé…


"Je sais qu'un jour le soleil brillera
que dans le ciel de l'amour il éclatera 
et ce jour-là plus besoin de chercher
je saurai bien s'il faut rire ou pleurer"
Rire ou pleurer (1971)

© G.D. & E.D.

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