Michèle Torr n’est pas connue pour chanter des chansons
drôles. Elle n’a pas du tout l’image d’une chansonnière, ni d’une chanteuse
rigolote. Elle n’est pas dans la lignée d’une Annie Cordy, c’est certain. Elle
n’a pas non plus l’ironie parfois cruelle d’une Lynda Lemay. Il n’empêche que,
tout au long de sa carrière, alors qu’elle dit elle-même préférer chanter
l’amour malheureux, elle a enregistré un certain nombre de titres que l’on
pourrait qualifier d’amusants, et même d’humoristiques pour certains.
Michèle Torr a commencé sa carrière en 1964, en pleine
période yé-yé, et c’est la légèreté qui caractérise ce mouvement: ce sont
souvent des adaptations de morceaux venus d’Amérique ou d’Angleterre que
reprennent de tout jeunes chanteurs, et les paroles des chansons sont souvent
sans conséquence.
Faire la liste des chansons de ce type qu’a interprétées la
jeune Michèle Torr, à qui sa maison de disques demandait de chanter dans une
tonalité qui n’était pas la sienne pour être à la mode, des paroles dans
lesquelles elle ne se reconnaissait pas vraiment, serait inutile. On peut
cependant en retenir deux : C’est dur d’avoir seize ans, sur son premier
45 tours en 1964 : elle fait sourire, cette jeune fille pour qui les
questions les plus importantes sont la hauteur des talons et le choix du moment
où elle va se laisser embrasser! Et on apprend, non sans amusement, que
les jeunes filles en viennent à ne pas se laisser embrasser par celui qui leur
plaît pour aller finalement dire…Oui, et non pas Non à tous les garçons !
(1965, EP La grande chanson).
Deux chansons amusantes sont sorties en 1966 sur l’EP
Dandy : la chanson Dandy, tout d’abord, est le portrait narquois d’un
séducteur qui se croit irrésistible mais risque bien de finir… tout seul
(l’original est une chanson des Kinks), et J’aime esquisse celui d’un homme
séduisant par les blagues qu’il fait et les bévues qu’il commet (dévorer la
pâtée du chien, sauter par la fenêtre à pieds joints ou repeindre en vert les
plafonds).
Sur l’EP Only you en 1967, Ça c’est pour moi est le portrait
d’une sorte de Miss Catastrophe qui accumule les gaffes et les maladresses en
tous genres, entre autres chanter des chansons qui ne tiennent pas debout !
En 1968, la célèbre Calamity Jane est momentanément éclipsée
par une dangereuse Lady Winchester, « la divine des divines » qui
« tire les coeurs à la carabine » car elle aime bien « tuer le
temps ».
En 1970, une jeune femme éconduite par son amoureux se
console en proclamant: Je vais faire sauter la banque, pour ne pas faire mentir
l’adage selon lequel si l’on est heureux au jeu, c’est que l’on est malheureux
en amour.
En 1976, sur l’album Je m’appelle Michèle, Caddy Baby nous
raconte l’histoire d’une jeune femme qui, dans un supermarché, s’amuse de la
naïveté d’un « homme facile » -bien sûr que cela existe aussi !-
dont elle feint d’accepter les avances pour le laisser à la fin tout seul avec…
un caddy plein, tandis que Mets un tube dans ton piano évoque le pouvoir de la
musique de faire oublier tous les soucis en convoquant tout un bestiaire
surréaliste au cœur des instruments de musique (lion, puma, léopard, zèbre).
Mais les deux albums, moins connus que d’autres peut-être,
qui contiennent le plus de chansons amusantes (ils forment
un vrai diptyque et auraient d’ailleurs mérité une édition en double album), ce
sont I remember you (1987) et Je t’avais rapporté (1988).
En 1987, Michèle Torr, qui a quarante ans exactement, change de maison de
disques, mais pas d’équipe, et le nouvel album est annoncé comme celui d’un
retour en force. Belle pochette en noir et blanc, très soignée, très
glamour : une pose un peu frileuse, un regard détourné, rêveur. Des
chansons variées : un premier extrait très classique mais avec un refrain
accompagné d’un saxophone un peu jazzy, omniprésent. C’est I remember you.
Un exotique Carnaval à gogo, un Sixtees au son Live. Des
chansons tristes et émouvantes aussi : Fleur de mai, Les mots
pour te dire, signée Michèle Torr, en hommage à sa mère, qu’elle avait créée à
l’Olympia en janvier de la même année, et Les choses de la vie, signée
Romain Vidal pour la musique.
Mais
c’est en écoutant les autres chansons qu’on comprend le concept : les
lèvres rouges d’abord, dessinées sur la photo en noir et blanc, sont un
sourire, et ce disque est en fait une parodie : Michèle se moque doucement
d’elle-même et de la chanteuse aux chansons « rose bonbon » qu’elle
est devenue et à laquelle se réduit injustement son image. Par ailleurs, elle a
pris l’habitude de clore ses albums par une chanson « rouge
passion »,très lyrique, qui traite de la passion amoureuse de façon
parfois excessive: Mélancolie femme en 1981, Romantique féminine en 1983 (face
A),La passionaria en 1984, Reviens en 1985 …L’album I remember you est en
fait construit sur l’alternance de chansons à prendre au premier degré, et
d’autres au second : c’est le cas de I remember you ,
de C’est dur d’avoir seize ans, repris l’année de ses quarante ans,
de Et toute la ville en parle où sont évoquées de façon très
théâtrale les amours d’une star qui voit sa vie étalée dans les journaux. Cette
chanson sera le deuxième extrait sorti en 45 tours, avec une pochette en forme
d’article de journal; avec I remember you elle montre bien les deux faces de la vie d’une
vedette : le glamour et le scandale, l’art et le saccage de la vie privée.
Il y a aussi le très drôle Toi émoi sur l’infidélité et comment la
dépasser : on y entend dans les couplets une femme acrimonieuse,
probablement trompée, qui accueille son mari dans l’entrée au moment où il
rentre, en pleine nuit, et elle l’accable de reproches, tandis que dans le
refrain, sont énumérés des titres de films dans lesquels la passion amoureuse
est évoquée dans toute sa splendeur. Entre le quotidien et l’expression
artistique l’écart est parfois grand ! Mais tant pis : « Same
player shoots again ! »dit la dame (car il n’y a pas de mal à
se faire du bien). Et pour finir le
génial Tu ne vaux pas une larme signé Torr/ Mecca, chanté avec une
voix de tête surprenante, celle de la harpie faisant sans cesse des reproches à
son mari, caricature et métamorphose de la gentille mère de famille
d’Emmène-moi danser ce soir : « Même ton chien est content que tu
quittes la maison, même pas tes amis ne te réclameront ». Monsieur n’a pas
la côte à la bourse de l’amour !
Les lèvres rouges étaient le
symbole de cette autodérision. Mais qui l’a dit dans la presse ou à la
télé ? Qui a salué cet album pour ce qu’il était vraiment ? Pas grand-monde,
et c’est bien dommage. On a seulement pu lire dans Télé Poche, un article titré
Michèle Torr : à 40 ans, je veux enfin vivre, dans lequel elle disait
avoir chanté certains titres de cet album « pour [s]’amuser »…
Puis
la promotion de Et toute la ville en parle a vu se transformer les
fausses larmes en vraies car, Michèle Torr l’a dit plus tard, elle voit dans sa
chanson le reflet de sa vie et n’a plus le cœur à en rire ni à la chanter.
Alors qu’elle aurait dû devenir l’un des plus gros tubes de Michèle, elle est
reléguée à l’oubli …pour quelques mois, avant qu’elle ne soit reprise par
Margaux. Ou pour quelques années, avant que Michèle ne reprenne
elle-même « sa » chanson, « ma chanson », à l’Olympia, en
1996.
De même Tu ne vaux pas une larme sera reprise sous le titre Dans le blues
de l’amour sur l’album Seule (1997), chantée très différemment, beaucoup
plus bas, tout en puissance et en colère. Les paroles sont à peine
retouchées : la bourse de l’amour devient le blues de l’amour, et la dame
paraît beaucoup plus en colère, plus orageuse. Beau succès en concert pour
cette chanson aussi drôle par le traitement du thème que forte scéniquement
dans cette deuxième version.
En 1988 est sorti Je t’avais rapporté,
deuxième disque, deuxième face du même concept : Michèle en smoking crème
sur la pochette fait son cinéma : simulation d’une pellicule. Au verso,
une photo dans une loge, robe noire (ce sont des tenues qui ressemblent
beaucoup à celles de l’Olympia 87), séance coiffure. Le même graphisme, les
mêmes lettres rouge passion pour le nom de l’artiste. Sur ce disque c’est sur
la face A que s’enchaînent les parodies. Je t’avais rapporté annonce
la couleur : « Je t’avais rapporté des bouquets d’orchidées du plus
rouge éclaté », « … des musiques nouvelles ». Je suis
love , Sentiments , Passion fatidique (avec une voyante
guettant l’arrivée de l’homme idéal dans sa boule de cristal, les cartes et les
astres avant…le suivant !), Puisque c’est un adieu (très drôle,
l’idée de la femme qui court après son amant en faisant le tour de la
Terre … dans l’autre sens pour être sûre de le croiser à nouveau!), Je
pense à vous (face B et deuxième extrait en 45 tours) sont des chansons
qui fonctionnent aussi bien au premier qu’au deuxième degré.
Puis
viennent des chansons plus intimistes et émouvantes : Où est ton
étoile (hommage à Elton John), Partir un jour, Le chemin de bohème.
Avant de se terminer par l’étrange Touchez pas à ma ville.
C’est aussi dans ces années-là
que Michèle Torr a participé plusieurs fois aux émissions de Patrick Sébastien
(Sébastien c’est fou, Carnaval, Farandole) et qu’on l’a vue, diversement
grimée, chanter Etienne, de Guesh Patti, Eddy sois bon en rockeuse toute de
cuir noir vêtue, Paroles, paroles de Dalida et Alain Delon, mais aussi parodier
Anne Sinclair, ou en facteur, en candidate à la présidence de la République, et
même en David Bowie…
En 1995, sur l’album A nos beaux
jours, (Même ta femme a) Des états d’âme est une chanson très souriante qui,
sur un rythme plaisant et enlevé, sur le même thème qu’Emmène-moi danser ce
soir, vise à faire comprendre aux maris
qu’ils doivent prendre soin de leur femme, car elle mérite d’être traitée
« juste aussi bien que la télé ». Souriante, vraiment ?
"Je sais qu'un jour le soleil brillera
que dans le ciel de l'amour il éclatera
et ce jour-là plus besoin de chercher
je saurai bien s'il faut rire ou pleurer"
Rire ou pleurer (1971)
© G.D. & E.D.
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