mardi 4 mars 2014

Michèle Torr chante Edith Piaf


Avant d’être chanteuse, Michelle Tort chantait déjà Edith Piaf : c’est en chantant Non, je ne regrette rien qu’elle s’est présentée à 12 ans au Petit Conservatoire de Mireille, ce qui lui a valu un commentaire ironique de la dame à la voix aigrelette, qui ne trouvait pas le répertoire de Piaf adapté à une adolescente.


C’est en chantant Exodus qu’elle a remporté, en 1962, à Avignon, le concours de chant On chante dans mon quartier, qui lui a ouvert la scène du Palais des Papes, en première partie de Jacques Brel, ce qui s’est soldé par d’une part le sentiment de ne jamais pouvoir faire le même métier qu’un tel artiste, et d’autre part la promesse d’une possible signature de premier contrat chez Philips. 


C’est cette chanson qu’elle a enregistrée sur une première maquette pour la maison de disques (mais selon d’autres sources – un article de Jacques Pessis-, ce seraient des couplets de Claude François…). On connaît ensuite l’histoire de l’interversion des étiquettes: Agnès Fontaine, déjà célèbre à l’époque -mais plus du tout aujourd’hui-, mentionnée par erreur sur la maquette, l’intérêt suscité par la surprise et la voix inconnue… 


Et voilà Michelle Tort chanteuse, le jour des obsèques de celle qu’elle admirait tant! (Sans changer son prénom ni son nom, mais non sans en changer l’orthographe).


Par contre elle mettra longtemps avant d’enregistrer des chansons de celle dont elle aime tellement les inflexions de la voix : c’est en 1976, sur son premier album consacré entièrement à des reprises de grandes chansons, qu’elle chante une première version de Jézebel qu’elle inclura dans son tour de chant, jusqu’à l’Olympia de 1980 sur lequel on en trouve une version en public. La deuxième chanson de Piaf que l’on trouve sur cet album, c’est Exodus, chère à son cœur, on aura bien compris pourquoi.


En 1980, elle enregistre une version très moderne de L’homme à la moto, qui ne sort pas immédiatement en France, mais seulement en Belgique, en face B d’un 45 tours dont la face A est Les roses blanches, avant de chanter, toute de mousseline rose vêtue, Sous le ciel de Paris lors d’un Cadence 3, émission de Guy Lux dont elle était l’invitée vedette après son triomphe à l’Olympia. L’homme à la moto ne sortira en France qu’en 1983, sur l’album Midnight Blue en Irlande. L’orchestration choisie est résolument « disco » et cela donne à la chanson une sorte d’éclat qui lui convient très bien, autant que l’habillage rock avec lequel on a l’habitude de l’entendre reprise.


En 1987, elle chante pour la première fois sur la scène de l’Olympia celle qu’elle dit être sa chanson préférée de la Môme, Hymne à l’amour, qu’elle va garder longtemps dans son tour de chant, puisqu’on la retrouve encore sur l’album Le meilleur de Michèle Torr en public (et pour la première fois gravée sur disque, puisque l’Olympia 87 n’a pas été enregistré, ou du moins pas édité sur microsillon) puis à nouveau sur la  scène du boulevard des Capucines en janvier 1996, janvier 1998 et au Casino de Paris en septembre 1999.
Toujours en 1987, elle chante une première version de La vie en rose sur l’album Chansons de toujours, sorti en septembre.


En 2002, c’est Non, je ne regrette rien que Michèle Torr confie au public qui remplit l’Olympia. Une reprise remarquée.
En 2003, sur la même scène, C’est l’amour vient remplacer Chanson inédite pour le final et Michèle Torr annonce son intention de chanter Piaf pour fêter ses quarante ans de chanson.
« Si la chanteuse a chanté du Piaf, c’est qu’elle pense déjà au tour de chant de ses quarante ans de carrière au printemps prochain. Un tour de chant qui devrait être entièrement consacré au mythe », lira-t-on dans Platine. Puis « Michèle Torr…annonce déjà un nouvel album studio pour cet automne. C’est l’amour sera un hommage acoustique à Piaf en 14 chansons ».
Dès l’été,  on apprend qu’« après une tournée triomphale sur les routes de France, et  avant de regagner les studios d’enregistrement à Paris [elle] s’est octroyé des vacances bien méritées. »
Elle projette de sortir cet album le 13 octobre 2003, 40 ans jour pour jour après les obsèques de Piaf et la signature de son premier contrat chez Philips. Beau symbole. Mais Universal lui demande un délai plus important pour la mise en place du CD. Plutôt que de renoncer à son idée, elle produit le CD et en confie la distribution à une petite maison, New Service. 


Evidemment, la distribution et la promotion sont plus compliquées que si elles avaient été assurées par Universal. Mais c’est donc bien le jour prévu que sort le CD Michèle Torr chante Piaf, sous-titré C’est l’amour, avec un encart annonçant le spectacle  pour le mois de mars 2005 à l’Olympia.
« Tous fans de Piaf. Commémorations à foison…Michèle Torr sort C’est l’amour » en hommage à la Môme (tournée nationale et Olympia en 2005) » selon Femme actuelle.
« [Elle] s’offre le plus beau des cadeaux : un magnifique album-hommage, Michèle Torr chante Piaf… » (France Dimanche).
« Pour ce disque, elle s’est enfin décidée à prendre des pointures comme musiciens Dahan, Chantereau, Audin… » (Platine).
« Lui consacrer un album, ce n’était pas un choix, mais une évidence » (Interview de Jacques Pessis, dans Vivre plus). « Les fréquences de sa voix sortie du plus profond me bouleversent».
« c’est un événement d’envergure que nous fait partager Michèle Torr » (David Lelait dans Nous Deux)
« C’est l’amour, un véritable petit bijou »,
« Michèle Torr vient de sortir un album, où elle reprend seize chansons d’Edith  Piaf, réorchestrées par Jean-Michel Bernard, l’accompagnateur et l’arrangeur de Ray Charles, dans des tonalités actuelles, avec un côté un peu jazzy. L’harmoniciste Jean-Jacques Milteau a également participé à cet album. » (Sud Ouest)
« Cette récréation osée réussit le tour de magie de l’émotion retrouvée sur des morceaux intemporels » (Virginie Legourd)


Le CD, finalement un peu plus long (17 titres, dont un instrumental), dont l’ordre des chansons est peut-être maladroit car les plus fortes sont au début, est en effet un des plus beaux voyages musicaux que la chanteuse nous ait fait faire au cours de sa carrière. Elle prouve une fois de plus qu'elle est une véritable interprète, au sens noble du terme et  crée, avec un plaisir évident, un univers fait de nuances et de subtilités. On y entend la voix, magnifique, brute, ample et incandescente, en alternance sur des orchestrations sobres où le piano domine (C’est l’amour – ambiance très « soul music » par moments-, Mon Dieu, La belle histoire d’amour, Les amants d’un jour, Non, je ne regrette rien, Les mots d’amour) et d’autres qui nous emmènent au cœur d’une fête foraine (Mon manège à moi), en Orient (Jezebel), tandis que La vie en rose prend des teintes exotiques,  gypsies pour La foule, et que Padam…Padam…(qui évoque la passion de chanter, jusqu’aux confins de la folie) , L’accordéoniste, Hymne à l’amour prennent des couleurs de rues populaires parisiennes ou de bars de la Nouvelle-Orléans. Michèle Torr chante aussi le blues avec T’es l’homme qu’il me faut, reprend encore –sur un rythme très lent cette fois, avec de lumineuses guitares- Exodus, et ajoute un oppressant Je sais comment,  avant de confier au seul Jean-Michel Bernard l’interprétation uniquement instrumentale de Milord (A celle-ci Michèle ne veut pas toucher). C’est ce dernier qui signe les arrangements de ce très beau disque, alors que de vrais instruments (piano, B3, rhodes, guitare, basse, batterie, percussions, violoncelle, cor, flûtes, clarinette, accordéon, harmonica) et de grands noms de musiciens (Hervouet, Briot, Dahan, Mimram, Tavernier, Sucetti, Milteau à l’harmonica, Chantereau aux percussions, Audin au violoncelle, pour les citer tous) garantissent la qualité de la musique. Si les grandes chansons de Piaf son bien présentes, le choix de Michèle Torr se fait donc très personnel avec des chansons méconnues comme C’est l’amour, La belle histoire d’amour, Les mots d’amour, Je sais comment, T’es l’homme qu’il me faut…Michèle Torr ne semble jamais imiter Piaf, alors que c’est trop souvent le cas de ceux et surtout celles qui ont repris ces chansons, mais elle se les approprie et les chante à sa façon, sans chercher à accentuer les inflexions vocales qu’elle a en commun avec Piaf, sans jamais non plus sombrer dans la grandiloquence.  Pour le visuel, un peu austère, une photo très sombre, en noir et blanc, avec une chanteuse aux cheveux courts, signée Christophe Mourthé, des lettres rouges… A l’intérieur, un texte de David Lelait-Helo, journaliste à Nous Deux, auteur de biographies sur Barbara, Romy Schneider, qui a signé plusieurs articles sur Michèle Torr dans ce magazine et vient d’écrire un livre sur Piaf, souligne la légitimité de la démarche; leur collaboration deviendra artistique en 2012.


La tournée prévue débute en avril 2004. Hélas, le public ne comprend pas le choix de l’artiste, qui change plusieurs fois l’ordre des chansons, avant de se résoudre à adjoindre un medley de ses propres titres, qui est chaleureusement accueilli, à tel point que, finalement, comprenant que les gens qui viennent écouter Michèle Torr veulent avant tout qu’elle chante…Michèle Torr, elle se résout à continuer la tournée avec un tour de chant plus classique avant d’arriver, comme prévu, à l’Olympia en mars 2005.


Sur la scène de l’Olympia donc, où elle fête ses quarante ans de carrière, elle rend tout de même hommage à Piaf en chantant T’es l’homme qu’il me faut, Mon Dieu (a cappella et sans micro),  Non, je ne regrette rien, et C’est l’amour.

                                

Depuis, Michèle Torr continue de chanter Piaf dans tous ses tours de chant, essentiellement Mon Dieu et T’es l’homme qu’il me faut («car cette chanson a été écrite sur les accords du blues, et [elle] adore ça ! » ; nous aussi.).
En mai 2013, l’album Michèle Torr chante Piaf  (C’est l’amour) est réédité avec un nouveau visuel, plus moderne, avec des lettres rose indien. On peut se le procurer exclusivement sur le site de la chanteuse :
Même dix ans après, il ne faut pas manquer ce disque, injustement méconnu, d’amour et de vraie musique.

© G.D. & E.D.

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