Avant d’être chanteuse, Michelle Tort chantait déjà Edith
Piaf : c’est en chantant Non, je ne regrette rien qu’elle s’est présentée à
12 ans au Petit Conservatoire de Mireille, ce qui lui a valu un commentaire
ironique de la dame à la voix aigrelette, qui ne trouvait pas le répertoire de Piaf
adapté à une adolescente.
C’est en chantant Exodus qu’elle a remporté, en 1962, à
Avignon, le concours de chant On chante dans mon quartier, qui lui a ouvert la
scène du Palais des Papes, en première partie de Jacques Brel, ce qui s’est
soldé par d’une part le sentiment de ne jamais pouvoir faire le même métier
qu’un tel artiste, et d’autre part la promesse d’une possible signature de
premier contrat chez Philips.
C’est cette chanson qu’elle a enregistrée sur une première maquette pour la maison de disques (mais selon d’autres sources – un article de Jacques Pessis-, ce seraient des couplets de Claude François…). On connaît ensuite l’histoire de l’interversion des étiquettes: Agnès Fontaine, déjà célèbre à l’époque -mais plus du tout aujourd’hui-, mentionnée par erreur sur la maquette, l’intérêt suscité par la surprise et la voix inconnue…
Et voilà Michelle Tort chanteuse, le jour des obsèques de celle qu’elle admirait tant! (Sans changer son prénom ni son nom, mais non sans en changer l’orthographe).
Par contre elle mettra longtemps avant d’enregistrer des
chansons de celle dont elle aime tellement les inflexions de la voix :
c’est en 1976, sur son premier album consacré entièrement à des reprises de
grandes chansons, qu’elle chante une première version de Jézebel qu’elle
inclura dans son tour de chant, jusqu’à l’Olympia de 1980 sur lequel on en
trouve une version en public. La deuxième chanson de Piaf que l’on trouve sur
cet album, c’est Exodus, chère à son cœur, on aura bien compris pourquoi.
En 1980, elle enregistre une version très moderne de L’homme
à la moto, qui ne sort pas immédiatement en France, mais seulement en Belgique,
en face B d’un 45 tours dont la face A est Les roses blanches, avant de
chanter, toute de mousseline rose vêtue, Sous le ciel de Paris lors d’un
Cadence 3, émission de Guy Lux dont elle était l’invitée vedette après son
triomphe à l’Olympia. L’homme à la moto ne sortira en France qu’en 1983, sur l’album
Midnight Blue en Irlande. L’orchestration choisie est résolument
« disco » et cela donne à la chanson une sorte d’éclat qui lui
convient très bien, autant que l’habillage rock avec lequel on a l’habitude de
l’entendre reprise.
En 1987, elle chante pour la première fois sur la scène de
l’Olympia celle qu’elle dit être sa chanson préférée de la Môme, Hymne à
l’amour, qu’elle va garder longtemps dans son tour de chant, puisqu’on la
retrouve encore sur l’album Le meilleur de Michèle Torr en public (et pour la
première fois gravée sur disque, puisque l’Olympia 87 n’a pas été enregistré,
ou du moins pas édité sur microsillon) puis à nouveau sur la scène du boulevard des Capucines en janvier
1996, janvier 1998 et au Casino de Paris en septembre 1999.
Toujours en 1987, elle chante une première version de La vie
en rose sur l’album Chansons de toujours, sorti en septembre.
En 2002, c’est Non, je ne regrette rien que Michèle Torr
confie au public qui remplit l’Olympia. Une reprise remarquée.
En 2003, sur la même scène, C’est l’amour vient remplacer
Chanson inédite pour le final et Michèle Torr annonce son intention de chanter Piaf
pour fêter ses quarante ans de chanson.
« Si la chanteuse a chanté du Piaf, c’est qu’elle pense
déjà au tour de chant de ses quarante ans de carrière au printemps prochain. Un
tour de chant qui devrait être entièrement consacré au mythe », lira-t-on
dans Platine. Puis « Michèle Torr…annonce déjà un nouvel album studio pour
cet automne. C’est l’amour sera un hommage acoustique à Piaf en 14 chansons ».
Dès l’été, on apprend
qu’« après une tournée triomphale sur les routes de France, et avant de
regagner les studios d’enregistrement à Paris [elle] s’est octroyé des vacances
bien méritées. »
Elle projette de sortir cet album le 13 octobre 2003, 40 ans jour pour
jour après les obsèques de Piaf et la signature de son premier contrat chez
Philips. Beau symbole. Mais Universal lui demande un délai plus important pour
la mise en place du CD. Plutôt que de renoncer à son idée, elle produit le CD
et en confie la distribution à une petite maison, New Service.
Evidemment, la distribution et la promotion sont plus
compliquées que si elles avaient été assurées par Universal. Mais c’est donc
bien le jour prévu que sort le CD Michèle Torr chante Piaf, sous-titré C’est
l’amour, avec un encart annonçant le spectacle
pour le mois de mars 2005 à l’Olympia.
« Tous fans de Piaf. Commémorations à foison…Michèle
Torr sort C’est l’amour » en hommage à la Môme (tournée nationale et
Olympia en 2005) » selon Femme actuelle.
« [Elle] s’offre le plus beau des cadeaux : un
magnifique album-hommage, Michèle Torr chante Piaf… » (France Dimanche).
« Pour ce disque, elle s’est enfin décidée à prendre
des pointures comme musiciens Dahan, Chantereau, Audin… » (Platine).
« Lui consacrer un album, ce n’était pas un choix, mais
une évidence » (Interview de Jacques Pessis, dans Vivre plus). « Les fréquences de sa voix sortie du plus profond
me bouleversent».
« c’est un événement d’envergure que nous fait partager
Michèle Torr » (David Lelait dans Nous Deux)
« C’est l’amour, un véritable petit bijou »,
« Michèle Torr vient de sortir un album, où elle
reprend seize chansons d’Edith Piaf,
réorchestrées par Jean-Michel Bernard, l’accompagnateur et l’arrangeur de Ray
Charles, dans des tonalités actuelles, avec un côté un peu jazzy.
L’harmoniciste Jean-Jacques Milteau a également participé à cet album. »
(Sud Ouest)
« Cette récréation osée réussit le tour de magie de
l’émotion retrouvée sur des morceaux intemporels » (Virginie Legourd)
Le CD, finalement un peu plus long (17 titres, dont un
instrumental), dont l’ordre des chansons est peut-être maladroit car les plus
fortes sont au début, est en effet un des plus beaux voyages musicaux que la
chanteuse nous ait fait faire au cours de sa carrière. Elle prouve une fois de plus qu'elle est une véritable
interprète, au sens noble du terme et crée, avec un plaisir évident, un univers fait
de nuances et de subtilités. On y entend la voix, magnifique, brute,
ample et incandescente, en alternance sur des orchestrations sobres où le piano
domine (C’est l’amour – ambiance très « soul music » par moments-,
Mon Dieu, La belle histoire d’amour, Les amants d’un jour, Non, je ne regrette
rien, Les mots d’amour) et d’autres qui nous emmènent au cœur d’une fête
foraine (Mon manège à moi), en Orient (Jezebel), tandis que La vie en rose
prend des teintes exotiques, gypsies
pour La foule, et que Padam…Padam…(qui évoque la passion de chanter, jusqu’aux
confins de la folie) , L’accordéoniste, Hymne à l’amour prennent des couleurs
de rues populaires parisiennes ou de bars de la Nouvelle-Orléans. Michèle Torr
chante aussi le blues avec T’es l’homme qu’il me faut, reprend encore –sur un
rythme très lent cette fois, avec de lumineuses guitares- Exodus, et ajoute un
oppressant Je sais comment, avant de
confier au seul Jean-Michel Bernard l’interprétation uniquement instrumentale
de Milord (A celle-ci Michèle ne veut pas toucher). C’est ce dernier qui signe
les arrangements de ce très beau disque, alors que de vrais instruments (piano,
B3, rhodes, guitare, basse, batterie, percussions, violoncelle, cor, flûtes,
clarinette, accordéon, harmonica) et de grands noms de musiciens (Hervouet,
Briot, Dahan, Mimram, Tavernier, Sucetti, Milteau à l’harmonica, Chantereau aux
percussions, Audin au violoncelle, pour les citer tous) garantissent la qualité
de la musique. Si les grandes chansons de Piaf son bien présentes, le choix de
Michèle Torr se fait donc très personnel avec des chansons méconnues comme
C’est l’amour, La belle histoire d’amour, Les mots d’amour, Je sais comment,
T’es l’homme qu’il me faut…Michèle Torr ne semble jamais imiter Piaf, alors que
c’est trop souvent le cas de ceux et surtout celles qui ont repris ces
chansons, mais elle se les approprie et les chante à sa façon, sans chercher à
accentuer les inflexions vocales qu’elle a en commun avec Piaf, sans jamais non
plus sombrer dans la grandiloquence. Pour
le visuel, un peu austère, une photo très sombre, en noir et blanc, avec une
chanteuse aux cheveux courts, signée Christophe Mourthé, des lettres rouges… A
l’intérieur, un texte de David Lelait-Helo, journaliste à Nous Deux, auteur de
biographies sur Barbara, Romy Schneider, qui a signé plusieurs articles sur
Michèle Torr dans ce magazine et vient d’écrire un livre sur Piaf, souligne la
légitimité de la démarche; leur collaboration deviendra artistique en 2012.
La tournée prévue débute en avril 2004. Hélas, le public ne
comprend pas le choix de l’artiste, qui change plusieurs fois l’ordre des chansons,
avant de se résoudre à adjoindre un medley de ses propres titres, qui est
chaleureusement accueilli, à tel point que, finalement, comprenant que les gens
qui viennent écouter Michèle Torr veulent avant tout qu’elle chante…Michèle
Torr, elle se résout à continuer la tournée avec un tour de chant plus
classique avant d’arriver, comme prévu, à l’Olympia en mars 2005.
Sur la scène de l’Olympia donc, où elle fête ses quarante
ans de carrière, elle rend tout de même hommage à Piaf en chantant T’es l’homme
qu’il me faut, Mon Dieu (a cappella et sans micro), Non, je ne regrette rien, et C’est l’amour.
En mai 2013, l’album Michèle Torr chante Piaf (C’est l’amour) est réédité avec un nouveau visuel, plus moderne, avec des lettres rose indien. On peut se le procurer exclusivement sur le site de la chanteuse :
Même dix ans après, il ne faut pas manquer ce disque, injustement méconnu, d’amour et de vraie musique.
© G.D. & E.D.
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