jeudi 26 novembre 2015

Michèle Torr. La tournée des églises: une profession de Foi.

Petit retour en arrière: avant le début de la tournée Chanter c'est prier, nous vous proposons une édition revue et corrigée de notre chronique de l'an dernier: Michèle Torr, une profession de foi.


« Chanter c'est prier deux fois », ont dit Saint Augustin, Père de l’Eglise, puis Martin Luther, théologien. La tradition chrétienne a toujours accordé une place essentielle au chant, par lequel l'assemblée participe à la liturgie. Par lui se transmet une bonne part de l'enseignement biblique et catéchétique. Nous avons tous fait l'expérience de cantiques familiaux transmis de génération en génération, que parfois l'on a chantés bien avant d'en comprendre le sens à l’occasion de mariages, d’obsèques, de messes de Noël…. Car la sensibilité peut précéder l'intelligence. De même la prière et le chant peuvent s'intervertir. Il arrive que des personnes ne parviennent pas à prier, ne sachent pas prier ou soient mal à l'aise avec la prière. Le chant peut alors se révéler pour elles un meilleur moyen d'expression, car la charge spirituelle y est portée à la fois par les mots et la musique. Quelquefois, chanter c'est prier sans en avoir l'air, et cela peut satisfaire notre pudeur. Le chant peut alors devenir une école de la prière. Nous connaissons tous l’adhésion de Michèle Torr à la spiritualité ou plutôt aux spiritualités…La foi a pu être dans certaines périodes de sa vie une béquille, un rempart, dans d’autres un sens donné à la vie, ou bien encore une prière universelle par laquelle elle nous a invités avec elle à communier.
Cette chronique est un pèlerinage au cœur de son répertoire ou plutôt une profession de foi, sa profession de foi,  messages plus ou moins secrets entendus à travers toutes ces chansons qu’elle nous a offertes tout le long de cinq décennies, où il est question d’un Dieu intense, d’un Dieu paysage, d’un Dieu passion amoureuse, d’un Dieu ange gardien, d’un Dieu Amour, mais aussi d’un engagement et d’une spiritualité…

…Michèle Torr chante la foi.

Le nom de Dieu n’apparaît dans certaines chansons que comme une expression visant à exprimer l’étonnement ou l’intensité de l’amour humain ou d’un autre sentiment.
(Dans  Une vague bleue, 1974 :
« Je flirte avec toi
Mon Dieu comme j’aime ça… ».
Comme dans  Le voyage en bateau, 1983 :
 « Ah ! mon Dieu qu’il était beau
Courant au fil de l’eau
Le voyage en bateau… ».
Ou dans C’est joli la mer, en 1987 :
« Tu es entré dans mon regard
Dieu qu’il était chaud cet espoir… ».
Ou encore dans Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous, (re)prise à Barbara en 2000 :
« Mon Dieu que j’avais besoin de vous » dit-elle au public).

Dans d’autres chansons, églises et clochers ne sont que des éléments du paysage :
« C’est un clocher qui sonne
Et un banc qui s’ennuie… »
La province, 1984.
« Un clocher quelques maisons
Sur une place une fontaine »
Je reviendrai dans mon pays, 1985.
« Petit Jean souviens-toi de nos dimanches
Tu me trouvais très belle dans ma robe blanche
Sur les bancs de l’église je t’admirais
Timidement tu me regardais »
Petit Jean, 1985.
« Mon village
Au clocher aux maisons sages
Où les enfants de mon âge
Ont partagé mon bonheur »
Douce France, 1987.
« Un p’tit village
Un vieux clocher
Un paysage
Si bien caché »
Que reste-t-il de nos amours,  1987.
« Devant l’église une roulotte peinte en vert »,
Les comédiens, 1999.

Mais souvent l’amour  et la foi se font écho dans des titres dont le sujet est celui de la passion amoureuse et non des convictions religieuses.
Ainsi dans  Les amoureux, 1973:
« On ne voit plus les amoureux
Prendre le Ciel comme témoin… »
« A  tes  genoux
Je tombe à tes genoux
Comme à l’église
Lorsque l’on prie »
Dans  A tes genoux, 1976.
« Aimer comme je t’aime
Est un bienfait de Dieu
Et je veux sur ce thème
Broder des jours heureux »
Dans  Aimer comme je t’aime, 1976.
« Mujer si puedes tu con Dios hablar
Preguntale si yo alguna ves
Te he dejado de adorar… »
Dans  Perfidia, 1976.
« All I do is pray
The Lord above will let me
Walk in the sun once more”
Dans  Stormy weather, 1976.
C’est aussi le cas en 1982 avec A faire pleurer les femmes :
« Tu ne seras jamais malheureux
Parce que... tu as des yeux…
A faire pleurer les femmes
A leur faire des enfants
A leur faire croire en Dieu… »
Dans  Midnight blue en Irlande, en 1983:
« Midnight blue
Dans l’église à genoux
Je pense aux années bleues
Où nous étions heureux ».
Dans  Je l’aime, en 1983 :
« Je l’aime à bâtir des cathédrales…
A m’en crucifier le cœur … »

Dans Mariage, en 1984 est évoquée brièvement une cérémonie religieuse:
« Dans l’église enchantée
Les cloches qui sonnaient
Et les enfants qui chantaient
Et vivent les mariages d’amour… »
« Ensemble nous revivrons
Paradis et enfer »,
Tu ne vaux pas une larme, 1987, Dans le blues de l’amour, 1997.
Dans Puisque c’est un adieu, en 1988, il est davantage question d’un dieu qui serait une sorte de Cupidon:
« Puisque c’est un adieu pour toi et moi
La plus belle des histoires emporte-la
Si l’amour a un dieu qu’il n’oublie pas
Je suis prête à le croire encore une fois… ».
Passion fatidique, en 1988 : l’homme aimé est déifié :
« Toi seul mon unique
Mon dieu mon amour ».
« Mais je sais que chaque nuit
Je dis à Dieu merci
De m’avoir donnée à toi »,
La vie avec toi, 1991.
Puis la foi est présentée comme l’ultime rempart contre les amours interdites :
« Oh ! mon Dieu protégez-moi
De faire cette folie folie
Sans trêve empêchez-moi
De faire des folies folies »,
Danger liaison, 1991.
« Au secours car je tombe
Et c’est un péché
Passer ton seuil me tente
Retiens-moi d’entrer »
Au secours, 1995.
Rempart  que l’on peut franchir en toute impunité en rêve pour accéder au septième ciel :
« C’est grâce à des péchés de rêve
Qu’on arrive au Paradis »
Là où fond la banquise, 1995.
A moins que la punition ne soit la fin de l’amour :
« Est-ce une décision divine
Ou juste une érosion mesquine
Comme une garde-robe qui lasse
Tout comme le temps l’amour passe »
Un chant de sirènes, 1995.


C’est surtout dans les reprises de chansons  d’Edith Piaf que l’amour et la Foi se trouvent évoqués ensemble :
« Ils ont versé tant de prières :
"Délivrez-nous, nos frères !
Délivrez-nous, nos frères ! »
Exodus, 1976 et 2003.
« Dans le Ciel plus de problème
Dieu réunit ceux qui s’aiment »,
Hymne à l’amour, 1987, 1996, 2003.
« J'ai crié, j'ai pleuré,
J'ai nié, j'ai prié... »
La belle histoire d’amour.
Mon Dieu, reprise en 2003 et  2005, encore présente dans le spectacle « En concert avec vous » en 2012 et 2013, est une intense prière à Dieu pour qu’il consente à ce que l’amour pour un homme puisse durer un peu plus.
« Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu !
Laissez-le-moi
Encore un peu,
Mon amoureux !
Un jour, deux jours, huit jours...
Laissez-le-moi
Encore un peu
A moi...

Le temps de s'adorer,
De se le dire,
Le temps de se fabriquer
Des souvenirs.
Mon Dieu ! Oh oui...mon Dieu !
Laissez-le-moi
Remplir un peu
Ma vie...»


…Et dans Il viendra,  en 1976, Dieu est remercié pour… l’existence du Père Noël :
« Il viendra
Dieu merci ce n’est pas un rêve
Un enfant me l’a dit
Alors je le crois » !


Mais tous ces titres n’évoquent pas la Foi de façon très profonde et cela resterait anecdotique sans les chansons dont il va maintenant être question.
A l’époque de Salut les copains et des yé-yés, le sujet de la foi n’était pas très à la mode et Michèle Torr n’a pas évoqué ses croyances avant 1968, date à laquelle elle a repris Mon ange, chanson signée Bruno Coquatrix ; c’est par les chansons enregistrées sur cet EP qu’elle est enfin parvenue à chanter les chansons qu’elle avait vraiment envie de chanter et non plus seulement celles que lui imposait sa maison de disque, même si auparavant il y a eu des titres comme La grande chanson ou Ce soir je t’attendais…: progressivement , elle avait pu s’orienter vers un répertoire de grande variété qui lui plaisait davantage et  reprendre Mon ange lui tenait à cœur. Une chanson en forme d’acte de contrition après une période tumultueuse qui, si elle a permis à la jeune chanteuse devenue mère célibataire d’obtenir le soutien de Louise de Vilmorin, lui aura aussi valu de s’attirer la désapprobation d’une partie de l’opinion publique. La chanson n’est peut-être pas très explicite sur le plan de la foi, l’ange à qui elle s’adresse semble être un simple ange-gardien et aurait pu être nommé bonne étoile ou destin, mais les références religieuses sont nettes car il y est question de pain quotidien (« …notre pain de ce jour… »), de péchés et d’offenses  à se faire pardonner, ainsi que de méchanceté :
 « Pardonnez-moi d’être méchante
 […] Car même si je recommence
Je le ferai sans y penser ».
On imagine bien que l’ange en question, même si on comprend bien à quoi devait penser l’a chanteuse en interprétant ce titre,  se sera fait un plaisir de pardonner…

Un peu plus tard, avec la mode hippie, les comédies musicales Hair et surtout Jésus-Christ super star, le Christ est redevenu une figure emblématique, symbole d’une génération aussi frivole et excentrique en apparence que désenchantée en profondeur du fait d’un contexte historique peu réjouissant. Alors que la chanteuse aurait pu devenir une figure de l’émancipation des femmes, elle continuait de tenter de redorer son image en la rendant la plus lisse possible, voire déjà « conservatrice ». Cela l’a ainsi conduite à chanter :
« Il pourrait revenir
Ce jeune homme ce martyr
Il ne finirait pas
Ses jours sur une croix »,
dans Ca pourrait être vrai en 1971. Une chanson dans l’air du temps.
« Bientôt tu déposeras un agneau
Au fond de la crèche à Noël »
Paul, 1973.


A l’automne 1977 l’album J’aime sort : il comporte les reprises de Petit Papa Noël et Mon beau sapin,  et sur la photo Michèle porte un manteau blanc au col de fourrure qui laisse penser que c’est de ce disque-là qu’elle parle quand elle dit en 2013 à l’occasion de la sortie de Chanter c’est prier que sa maison de disques lui a demandé d’enregistrer un CD de chansons de Noël mais qu’elle l’a déjà fait. Ce disque contient par ailleurs (et surtout) des chansons qui ne parlent pas de Noël, loin s’en faut : J’aime, La gloire ou bien l’amour, Je ne sais pas pourquoi, Je n’oublierai jamais,  Nos arrières grands-parents, Couleurs, Quatre saisons, Comme un voilier…
Dans Si ma musique, elle chante :
« Si la musique
N’existait pas
L’amour n’aurait plus aucun droit
Je n’aurais plus les mêmes joies
La même vie la même foi ».
Mais l’album contient surtout une magnifique chanson, en forme de prière, sur une mélodie de Franz Schubert : c’est Dis-moi mon Dieu, où la chanteuse exprime d’une voix profondément lyrique et émouvante son incompréhension à l’idée que des enfants puissent être malheureux, en particulier à l’occasion de Noël :
« Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Y a-t-il des enfants
Sans joie un vingt-cinq décembre
Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Il y en a tellement
Qui pleurent tout seuls dans leur chambre
Et pourtant, dans leurs prières
Un peu avant minuit,
Que d'enfants dans leur misère
A genoux te supplient
Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Sont-ils si malheureux
Si malheureux ».
(Paroles de Jean Albertini et Raymond Bernet sur une très belle musique de Schubert).

Michèle Torr récidive dans le registre de la musique classique et de la foi en reprenant en 1978, sur l’album Emmène-moi danser ce soir l’Ave Maria de  Charles Gounod. Elle a chanté cette chanson plaintive, qui est autant une supplique qu’une prière,  non seulement sur scène lors de ses galas (par exemple à l’Olympia en 1980 : on la retrouve sur l’enregistrement public) mais aussi à plusieurs occasions lors de cérémonies religieuses qui avaient un caractère privé, ainsi que lors d’un Téléthon en décembre 1990.


En 1981, il est question de la foi et des croyances dans J’en appelle à la tendresse :
« Devant les synagogues devant les cathédrales
Il n’y a qu’un bon Dieu mais toujours plusieurs diables… »
La chanson a été écrite par Didier Barbelivien et Jean Albertini après l’attentat antisémite de la rue Copernic. Bien qu’un peu maladroite ou ambigüe, la phrase n’a pas suscité de polémique : il y est simplement question d’un Dieu qui serait un rempart contre la barbarie humaine incarnée par des terroristes qui viennent mettre en danger sur leurs lieux de culte la vie de croyants dont la religion importe peu. La chanson se poursuit en forme d’hymne humaniste quelque peu désenchanté :
« J’en appelle à la tendresse
A l’amour s’il nous en reste
J’en appelle à tous les hommes
Que leur volonté soit bonne… »
Comme s’il pouvait ne plus exister de tendresse ni d’amour dans le cœur de l’homme. Comme si à la volonté de Dieu pouvait se substituer celle de l’homme. Un hymne désenchanté donc, mais pas désespéré :
« Une chanson d’espoir en somme ».
Et un tube, malgré une promotion télévisée relativement discrète.

Dans A mon père, 1983, la foi fait aussi partie des éléments du portrait paternel :
« Il m'a récité les paroles
De tous les héros de Pagnol
Il se lève avant le soleil
Il croit en Dieu il croit au Ciel
Il est toujours auprès de moi
Des jonquilles au dernier lilas… »

Puis Michèle Torr a tenté d’exprimer ouvertement sa foi dans certaines de ses chansons, de façon plus nettement engagée :
Dans  Une mère d’autrefois en 1985 :
« Elle leur a appris le soleil
La prière avant le sommeil… ».
Et dans  France ton romantisme fout l’camp en 1986 :
« Il fallait à tout prix qu’ils te rentabilisent
Des couloirs des mairies aux clochers des églises ».
Pour que les lieux de culte ne soient pas que des moyens de faire des gains ou de simples musées…
Cela ne sera pas très bien perçu par le public à qui la chanteuse donne toujours raison et elle renoncera très vite à continuer dans cette voie d’un conservatisme pas toujours en accord avec sa biographie et l’ouverture d’esprit qu’elle a souvent montrée par ailleurs.

« J’ai vu pleurer un soir de Noël
Un inconnu qui cherchait le Ciel …
J’ai vu la croix brûler dans le feu.»
Dans ma vie, 1986.
Et dans Touchez pas à ma ville  elle ajoute :
« Touchez pas à ma ville
La rivière la forêt
Laissez-moi mes secrets
Je veux vivre tranquille
Les oiseaux vous regardent
Le Ciel peut-être aussi… »
Car la Foi continue tout de même de faire manifestement partie de son  jardin secret…

« Les hommes inventent des machines
Et par la volonté divine
La Terre tourne dans le même sens
Et les femmes dansent »
Dans Les femmes dansent, en 1991, l’expression de la foi se teinte de féminisme pour dénoncer les dérapages de la technologie telle que les hommes la font évoluer. La même idée sera exprimée dans Seule, à laquelle s’ajoute celle que, au nom de la religion que par ailleurs ils bafouent, les hommes oppressent en plus les femmes.

« J’ai vu à travers vous le monde
Comme dans un cinéma
Les guerres les gosses qu’on tue les bombes
Dieu cloué sur la croix
Celles qui portent le voile
Ne savent plus sourire»,
Seule,  1997.

Dans  A mi-vie,  la foi est trois fois évoquée :
« Quand on a dix-sept ans on est tous éternels
On peut marcher sur l’eau on peut braver le Ciel »
A mi-vie, 1993. Pour excuser l’insolence de l’adolescence, péché de jeunesse.
« Laissez passer Maria
Laissez-la prier tout bas
Ecoutez monter son âme
Dans la prière sévillane »,
La prière sévillane,  1993. Pour montrer ce que l’expression de la foi peut avoir de beau et d’émouvant chez cette mère de toréador.


Et alors que l’Abbé Pierre est déjà cité dans J’apprends de vous («  Et vous aimez Sœur Emmanuelle et l’Abbé Pierre ») il l’est à nouveau dans Regarde-les en 1997 :
« …ces sans-affaires
Partis du Fan-Club Abbé Pierre… »
tandis que la chanson Son paradis c’est les autres est entièrement consacrée à Sœur Emmanuelle, en 2008. En hommage à deux de ses « étoiles », deux de ses « héros »…dont la relation à la Foi est évidente.
« L’hommage au Ciel d’une cathédrale… »,
Encore, 2008.
« Pour ne pas vivre seul…
On vit avec des roses ou avec une croix…
Pour ne pas vivre seul
On fait des cathédrales
Où tous ceux qui sont seuls
S’accrochent à une étoile… »
Pour ne pas vivre seul, 2008.


« Il y a dans ce rendez-vous quelque chose de divin »,
C’est ma première, 2002.
Il s’agissait du rendez-vous avec le public, à l’Olympia (novembre 2002 et janvier 2003).
En 2011, sur le Best Of 3 CD sorti avant l’Olympia des 6, 7 et 8 mai, on trouve trois chansons inédites : Avant d’être chanteuse, l’adaptation des Marches du Palais, avec d’autres paroles, ayant pour titre Vous m’avez tout donné, dont les textes sont de Didier Barbelivien, avec qui la chanteuse renoue une collaboration artistique commencée avec J’aime  en 1977, et qui signe aussi la musique qui accompagne le … Notre Père, une mélodie très sobre mais prenante, avec des chœurs aux tonalités de chant grégorien et la voix de Claude Barzotti qui récite la prière en italien. Un choix d’autant plus audacieux que la chanson est intégrée au spectacle de l’Olympia, intitulé Avant d’être chanteuse, et qu’on la retrouve sur le double CD et le DVD qui sortiront en février 2013. Ce choix aurait pu déplaire, mais la presse catholique, à savoir le journal La croix et les magazines  Le Pèlerin et La vie,  accueille favorablement l’initiative et consacre trois articles à l’artiste qui en interprètera aussi un extrait dans une émission de télévision exceptionnelle, à 20 heures 30, présentée par Daniela Lumbroso : Chabada. Et Télé Star lui a consacré à cette occasion un article avec pour titre : « Michèle Torr : Chanter est proche de la prière ».

C’est au cours de ce spectacle à l’Olympia, en préambule à son interprétation du Notre père, que Michèle Torr déclare :
« Pour moi chanter c’est donner, bien sûr  c’est aimer, mais c’est aussi prier ».
C’est qu’a dû commencer à germer l’idée qu’elle va exprimer à la fin de l’année 2011, celle d’enregistrer, non pas comme le lui demande sa maison de disque Sony un disque de chant de Noël – elle prétendra de façon expéditive l’avoir déjà fait -, mais un disque de chansons spirituelles, en rapport avec la religion. Dans les six mois qui vont suivre, dans le sillage du succès des Prêtres, elle va concevoir un album qu’elle enregistrera au cours du mois d’août 2012 dans un studio du Gard, et qui sortira le 12 novembre 2012, alors qu’aura déjà débuté une longue tournée de près de cinquante dates avec un spectacle intitulé En concert avec vous.  L’album s’intitulera Chanter c’est prier.

Un album de chansons qu’elle définira comme des prières  « pas nécessairement pieuses (avec une jolie diérèse, zeste d’accent provençal) mais des prières d’amour et de fraternité ». On a toujours envie de chansons originales mais on sait bien que les auteurs, surtout sur ce sujet-là, risquaient de ne pas répondre à une demande de Michèle. L’idée de reprendre ces chansons, pouvaient être à la fois un moyen de leur montrer que sa voix est l’une des meilleures pour porter leurs mots et leurs notes, et peut-être de les convaincre qu’ils peuvent aussi (encore) écrire pour elle. On y trouve donc, après la chanson éponyme, inédite, en guise de préambule : Ave Maria (Aznavour…), L’envie d’aimer (Obispo…) extraite de la comédie musicale Les dix commandements, Chante( Didn’t it  rain), Fais-moi un signe (Palaprat, revu dans la tournée Age tendre), Je crois en toi (Barbelivien), Toi qui m’as tant donné (Gracias a la vida), Coupo Santo, Notre Père, Il faudra leur dire  (Cabrel), La mémoire d’Abraham (Goldman) et  Quand vint la grâce (Amazing grace).


Ce qui frappe d’abord ce sont les auteurs qu’elle a choisis : Aznavour (à qui elle a demandé, en vain, il y a longtemps déjà, un « hymne à l’amour ») mais aussi Obispo, Goldman (à qui elle a aussi demandé, en vain aussi, de lui écrire des chansons, et qui aurait même voulu la voir en concert un soir, mais le rendez-vous n’a pas eu lieu…), Cabrel… A peine plus jeunes qu’elle mais, pour la chanson, de la génération suivante, voire de celle d’après… Comme si, puisque, malgré les sollicitations, ils ne lui ont rien proposé, elle avait résolu de piocher, malgré eux, dans leurs œuvres…Alors elle a enregistré une version lyrique et  fidèle à l’original de Ave Maria, toute sobre de L’envie d’aimer, lumineuse de La mémoire d’Abraham (l’élocution est bien plus claire que celle de Céline Dion), et Il faudra leur dire, non pas avec une chorale d’enfants, mais en duo avec sa petite-fille, Nina Vidal-Guignes.
Ensuite, c’est la signature de David Lelait Helo pour les paroles de quatre titres : l’inédit Chanter c’est prier  et les trois adaptations : Chante, Toi qui m’as tant donné  et Quand vint la grâce.
Chanter c’est prier  constitue un préambule, pour les paroles lui pour les couplets, elle pour le refrain, et pour la musique Philippe Liotard, aussi arrangeur de l’album (à l’exception du Notre Père arrangé en 2011 par Tony Meggiorin). Un rockeur et cela s’entend. Hard-rockeur même à ses heures.
 Chante  et Quand vint la grâce  ont toutes deux pour thème la naissance de la foi, dans une éruption de joie pour Chante, plus dans l’intériorité et la sobriété pour  Quand vint la grâce.
Toutes les chansons ont une histoire et celle de cette chanson-là n’est pas légère. Chant traditionnel devenu hymne des opprimés et des esclaves qui ont trouvé dans la foi une porte ouverte…la mémoire qu’on n’efface pas, même si de cela  il ne reste rien dans l’adaptation de David Lelait. Si Quand vint la grâce parle encore, après un début en forme de « Gloria », sur un rythme presque épique, de la rencontre avec Dieu, ceux que ce thème lasse peuvent y entendre l’histoire d‘une autre rencontre : celle de la femme avec l’homme de sa vie, d’abord triste et seule puis relevée, illuminée quand elle est aimée, et la mélodie est tellement belle…
Mais la plus belle, la plus personnelle, la plus intime, est probablement Toi qui m’as tant donné. On reconnaît à peine l’original tant elle semble écrite pour la chanteuse. La chanson, plus riche aussi bien musicalement que pour les paroles, aurait pu venir heureusement remplacer en concert Vous m’avez tout donné; il y a là le thème et les mots, la sérénité de cette dernière, avec l’intensité de Je ne suis qu’une femme, et plus encore : la densité de l’album A mi-vie, et même la phrase finale, en espagnol (« A las cinco en punto de la tarde » : « Gracias a la vida que ma ha dado tanto » !). Un hymne à la vie, avec la mélancolie pudique de celle à qui elle ne fait pas toujours de cadeau. Une véritable re-création plus qu’une adaptation que les arrangements, discrètement « gospel », transforment totalement. Une très belle chanson.
Ensuite ce sont les arrangements et les chœurs qui surprennent dans Chanter c’est prier.. Arrangements que Michèle Torr a voulu « modernes », parfois inspirés du rock à la source duquel Philippe Liotard semble s’être nourri, et cela étonne surtout sur l’hymne provençal Coupo Santo : pas de touche folklorique, au lieu d’arrangements traditionnels, ceux choisis par le musicien donnent au chant un souffle épique en accord avec le sujet : la renaissance de l’identité provençale. Et au fil des chansons, on entend en particulier d’étincelantes guitares. Chœurs parfois chantés par Michèle Torr elle-même, avec ses inimitables inflexions, mais aussi par une chorale parfois discrète, parfois plus présente, qui teintent l’ensemble d’une belle couleur gospel (de Toi qui m’as tant donné à Chante) et même rock dans Chanter c’est prier. Fais-moi un signe,  la plus œcuménique « …qui que tu sois, Jésus, Bouddha, Hare Krishna… »), est très efficace et rappelle l’insouciance hippie…Les arrangements de ces chœurs sont signés Marielle Hervé.
Enfin, la voix. Belle, chaude, toute en nuances, elle rappelle les intonations déjà entendues sur l’album Seule, une des plus belles réussites de Michèle Torr sur le plan vocal. Elle fait des merveilles sur l’intense lumière crépusculaire de Je crois en toi qui nous rappelle que c’est sur les mélodies de Didier Barbelivien qu’elle a souvent brillé.
L’essentiel est donc là: Michèle Torr ne renie pas ce qu’elle est : une fabuleuse chanteuse… de variétés. Sans se renier. Une très grande voix, qui a forcé sa  rencontre avec de grandes chansons ayant en commun la foi : en un Dieu, en son étoile, en son public, en la fortune qui lui permet de faire cette longue et belle carrière. Au moment où l’unité conceptuelle ne doit quand même pas faire oublier la diversité musicale, personne ne pouvait lui reprocher un manque de sincérité : elle a toujours parlé de sa foi, de son intérêt pour l’histoire des religions, s’est fait photographier avec son fils le jour de sa communion, avec toute sa famille le jour du baptême de son petit-fils Samuel … Légitime était sa démarche, même s’il y avait  eu entre temps le succès des Prêtres. Plus originale, sincère, personnelle, qu’un album de chansons de Noël, c’est certain.

Chanter c’est prier est l’un des plus attachants albums que Michèle Torr ait enregistré mais il a suscité quelques réserves, y compris dans son plus fidèle public, malgré la « vraie spiritualité » qui  s’en dégage. Sorti au moment où la chanteuse avait entamé une grande tournée, pour une remarquable série de dates, autant de stations où la chanteuse espérait  retrouver le public qui, malgré le temps et l’indifférence des médias à son égard, ne l’oublie pas– remarquable car longue, à l’heure où beaucoup de spectacles et tournées sont annulés- celle-ci s’est soldée par un vrai succès, même si on a pu remarquer que l’artiste avait évolué : moins fougueuse sur scène, on l’a vue davantage explorer l’introspection, et le spectacle était plus adapté aux théâtres qu’aux grandes salles où il a pu paraître un peu froid et la chanteuse plus triste. Voie de l’intériorité qu’elle a souhaité continuer d’explorer avec le spectacle intimiste du Trianon le 18 octobre 2015 et avec la tournée des églises qui débutera début décembre 2015.
Ensuite, le Notre Père a suscité une petite polémique: qu’une chanteuse de variété intègre cette prière à un concert n’a pas été apprécié par tous et si le silence des uns était recueilli, celui des autres pouvait être gêné. Elle a tout de même choisi de continuer de chanter Notre Père sur scène, signe qu’elle a davantage interprété ce silence comme du recueillement que comme de la désapprobation.
A la suite de cet album, dans l’air du temps, Arielle Dombale a à son tour sorti un album de chansons spirituelles, avant l’album pluri-interprètes (Anguun, Natasha Saint-Pier…) Sainte Thérèse.


La collaboration entre Michèle Torr et David Lelait sur Chanter c’est prier s’est muée en une telle complicité qu’elle a tenu à ce qu’il soit l’auteur d’une des chansons de son nouvel album, Diva, en 2014/2015, avec pour sujet des histoires d’amour très masculines…Ils s’aiment, et alors?
La chanson, qui peut sembler n’être qu’une bluette aussi sautillante qu’insignifiante, enchaînant les clichés sur les homosexuels (qui aiment les chanteuses et les fleurs, sont plus sensibles et plus démonstratifs…), n’en comporte pas moins quelques remarques plus graves : si parfois ils sont la cible des injures, il en fut, en est et, malheureusement, en sera certains qui ont payé, paient et paieront  encore de leur vie leur orientation sexuelle. Et chanter une telle chanson dans une salle de spectacle, dans une ambiance d’amour et de tolérance comme à l’Olympia, dans une ambiance de music-hall ou de café concert comme au Trianon, semble parfaitement adapté. Mais dans une église? Ce pourrait être particulièrement frappant et courageux, dans ces lieux ou parfois on rencontre plus de rigorisme, voire d’intégrisme, que de tolérance, qui est pourtant une vertu chrétienne essentielle… Mais ce serait sans doute trop provocateur et risquerait de susciter des polémiques.
De façon plus consensuelle, Dieu est, dans Diva aussi, invoqué comme le témoin privilégié du sentiment amoureux, que ce soit pour les moments heureux… :
« Sur mon âme en feu
Je jure crois-moi
Seule et devant Dieu
Je ne veux que toi »,
Je ne veux que toi,
…ou malheureux :
“All I want is you
You alone fulfil me
When my inner voice
Cries to God in pain…
Before God above
I swear that it’s true
All you want is love
All I want is you”
All I want is you.
…Dieu simple ou multiple:
« C’est le Diable et l’Enfer mêlés à tous nos jeux
C’est le Ciel qui est offert à nous par tous les dieux
Quand tu m’aimes ».
Quand tu m’aimes.
Mais Dieu est aussi l’instigateur de l’amour fraternel :
« Tout l’amour du monde est dans cet instant
Comme une communion une envie de partage
Tout l’amour du monde dans un seul instant
Comme un signe divin un cadeau un message »,
Tout l’amour du monde,
et la chanteuse se montre prête à chanter sa foi dans des lieux de concert inhabituels, si ce n’est dans le passé, pourquoi pas dans le futur ?
« J’ai parlé de la paix
Mais aussi de la guerre
Dans les plus grandes salles
Même dans les cathédrales
Du bout du monde »,
Je ne veux chanter que l’amour.
C’est Guy Mattéoni, l’arrangeur en 1981 de J’en appelle à la tendresse, l’auteur et le compositeur de cette chanson…


Michèle Torr, son paradis, c’est la scène.
La conclusion de cette chronique pourrait se faire par la citation d’une expression inspirée et - pardon -  détournée, de celle de Sœur  Emmanuelle : « Son paradis c’est les autres ». Quel paradis la chanteuse recherche-t-elle ? N’est-ce pas tout simplement la scène, endroit que l’artiste traverse dans cette quête de paradis, à la recherche du bonheur éternel, où elle communie chaque soir avec son public, donne tout pour mieux recevoir, se dévoile davantage avec les années qui passent pour être un peu mieux comprise et davantage aimée, non plus seulement  pour ce qu’elle représente mais encore plus aujourd’hui pour ce qu’elle est.
«On ne possède pas le bonheur comme une acquisition définitive. Il s'agit à chaque instant de faire jaillir une étincelle de joie. Ne l'oublions pas : ‘’Souris au monde et le monde te sourira’’.» (Sœur Emmanuelle)
Difficile de témoigner, à travers des chansons, d’un cheminement spirituel. Cela touche tellement à l’intime… Mais nous avons la certitude que cette conviction a toujours accompagné l’artiste tout le long de ces cinq décennies. Issue d’une famille judéo-chrétienne, elle a gardé au fond d’elle toutes les valeurs chrétiennes qu’elle a manifestées dans son parcours personnel et professionnel. « La fin d'une vie au cours de laquelle on a toujours cherché à entrer en communion avec Dieu, la fin de cette vie terrestre, n'est que le prélude à une symphonie » (Sœur Emmanuelle).
La tournée des églises va bientôt débuter. Comme si ce nouveau projet était la vraie manière de Michèle Torr de nous donner rendez-vous pour nous dire « Merci » pour les 50 ans d’amour qui se sont écoulés.  Comme si elle avait enfin trouvé la sérénité pour nous offrir ce moment de grâce qu’elle voudrait vivre avec son public dans des lieux de culte provinciaux et –pourquoi pas ?- parisiens.
 « Le véritable amour, solide, durable, est celui qui cherche le bonheur des autres en même temps que son propre bonheur » (Sœur Emmanuelle).

©ED & GD

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