mercredi 17 avril 2019

Michèle Torr chante encore Michèle Torr (8)



Michèle Torr osera reprendre la plume et s’investira plus encore dans l’écriture de son album Seule, en 1997. « Aujourd’hui, j’ose prendre la plume » sera le titre d’un article d’Isabelle Morand dans Télé Star. Elle en cosigne six chansons sur douze. Seule aussi car c’est le premier album de chansons originales qu’elle autoproduit, seule, comme une grande…
« Je me suis enfin laissée aller à dire ce que je ressentais, ce que j’avais sur le cœur, mes émotions, mes états d’âme aussi, souvent des choses que je vis, ou que j’ai vécues… »confiera-t-elle à Platine dans un article intitulé « La solitude des hautes altitudes », dont le titre est inspiré de Goldman.
Pour Seule, elle retrouve Christian Accardi qui avait cosigné avec Claude Perraudin le très beau Ne m’oublie pas en 1991.
« Avec Christian Accardi, j’avais quatre textes que l’on a retouchés ensemble et sur lesquels il a écrit ses musiques », précisera-t-elle.


Seule est une très belle chanson sur la place des femmes dans le monde, poupées de chiffon blessées, voilées, prisonnières de la folie des hommes, et sur celle de l’une d’entre elles en particulier : la chanteuse, chanteuse d’un soir, qui trouve auprès du public un refuge, une forme d’amitié, mais  au prix de son intimité, car il lui vole son histoire, entre mensonge et vérité. Une chanson qui pose des questions plus qu’elle ne donne de réponses. Qui parle aussi de l’amour, de mariages, des deuils qui la déchirent, de la solitude…
« J'ai pris tous les avions du monde
Et je ne sais toujours pas
Si de l'autre côté la Terre est ronde
Où est l'envers, où est l'endroit
Folies des hommes, j'ai eu si mal
Je suis morte cent mille fois
Les gens se font la malle
Les blessures restent là
Amie des plus grands de ce monde
Des rois, des chefs d'État
Poupée de chiffon dans une ronde
Une reine ne danse pas
Femme promise, qu'on me réponde
Pour quel prince, pour quel roi
N'ai-je pas été blonde
N’ai-je n'aimé que toi ?
Je suis une femme seule
Entourée mais si seule
Je n'ai que des amis
Mille dans chaque pays
Je suis une femme seule
Et dans ma tour d'ivoire
Entre mariage et deuil
Toujours un peu plus seule
Quand tu t'en vas
J'ai vu à travers vous le monde
Comme dans un cinéma
Les guerres, les gosses qu'on tue, les bombes
Dieu cloué sur sa croix
Folies des hommes, les femmes ont mal
Vos mensonges nous déchirent
Celles qui portent le voile
Ne savent plus sourire
Certains soirs sous les projecteurs
J'ai envie de pleurer
En écoutant battre vos cœurs
Le mien est à vos pieds
C'est trois fois rien ces quelques fleurs
Mais c'est votre amitié
Vous savez, j'ai si peur
Le soir quand vous partez
Je suis une femme seule
Tant aimée mais si seule
Rien de ce qu'on écrit
Ne ressemble à ma vie
Je suis une femme seule
Cette chanteuse d'un soir
Que les gens viennent voir
Rendez-moi mon histoire
D'une femme seule
Alors c'est donc ça votre monde
Mille et seule à la fois
Moi, je ne veux plus tourner dans cette ronde
Me déchirer pour lui, pour toi
Parfums d'amour et de scandale
Je suis si fatiguée
De sourire quand j'ai mal
Mensonge ou vérité
Je suis une femme seule
Entourée mais si seule
Je n'ai que des amis
Mille dans chaque pays
Je suis une femme seule
Et dans ma tour d'ivoire
Entre mariage et deuil
Toujours un peu plus seule
Et tu reviens pas ».


Deuxième chanson : Tes silences. Avec  aussi Christian Accardi. Beaucoup de rimes en –ence pour une chanson-confidence (mais ce mot-là, on ne l’y trouve pas !) dans laquelle la chanteuse évoque l’histoire d’amour qu’elle est en train de vivre, et qui tourne mal. Silences, indifférence, absences, vengeance, comme autant de tue-l’amour. On y entend l’impossibilité de dissocier vie privée et vie publique, inextricablement enchevêtrées et l’artiste se débat dans ses contradictions. Un peu de chance, et tout recommence… dans la vie comme dans la chanson.
« Et ce putain de portable qui marche pas
Pas moyen de t'appeler, te dire que ça va pas
Embarquement immédiat,
J' suis bloquée à Roissy
Si loin de tout ici
Je pense à toi
Un mouchoir
J' trouve plus mes lunettes noires
Pour cacher les blessures de tes armes
Et j' me fous que les gens voient mes larmes
Ne suis-je pas faite comme toutes les femmes ?
Arrête tes silences
Joue plus l'indifférence
Laissons-nous une chance
Tout est gagné d'avance
Si tu fais le premier pas
Et ce putain de passé qui me revient
Je me souviens de nos étés, une bastide, un jardin
Quelques roses trop blanches
Qu'on appelait "Michèle"
Il pleut sur la Provence
Je pense à toi
Des couloirs bien trop longs, égarée
J'ai pas le trac, je cherche le plateau B
Notre histoire en direct, une télé
Seras-tu là pour me regarder ?
Arrête tes silences
Joue plus l'amour vengeance
Laisse-moi une chance
De regagner ta confiance
J' vais casser ce silence
Car de toute évidence
J' veux plus de cette absence
J' veux que tout recommence
Arrête tes silences
Joue plus l'indifférence
Laissons-nous une chance
Tout est gagné d'avance
J' vais casser ce silence
Car de toute évidence
J' veux plus de cette absence
J' veux que tout recommence
Si tu fais le premier pas
Allez, viens ! »


Troisième chanson : Regarde-les. Avec encore Christian Accardi. Sur les « Chaplins des temps nouveaux », les SDF. La mélodie évoque en effet les films de Charlot par son rythme et les arrangements (petites notes de piano comme au temps du cinéma muet), de même que par son sujet. On peut être agacé par certains termes en décalage avec le propos (flingués, fan-club Abbé Pierre, looker les vitrines, se payer la une… des super géants de l’info…), gêné par certaines images un peu maladroites (tout humiliés de vieux cartons, ces vieux jouets de peluche, ces chiens sans laisse, -ce sont les SDF eux-mêmes, non ?- ces presque rien…) On préfère les troubadours sans limonaire, les sultans (mais c’est pas vrai)…Il n’empêche, cela se termine Rue de la Pitié comme cela commence parfois chez Maupassant Rue des Martyrs. Et ce mélange de maladresse et d’intentions louables, de poésie et de clinquant, fonctionne plutôt bien quand la révolte se lève dans la voix, sourde comme  début d’orage, mais impuissante, avant de s’apaiser…  car il est des révoltes qui mènent à l’action, comme celle de Coluche dont le nom vient clore la chanson. Un bel hommage donc, à ceux qui, en dépit de l’indifférence des gens, des hommes politiques en particulier,  œuvrent pour combattre la misère.
« Regarde-les rue des Flingués
Tout chiffonnés de vieux chiffons
Tout humiliés de vieux cartons
Pour se protéger du froid, c'est con
Regarde-les clopin-clopant
Comme de vieux jouets de peluche
Qu'on a jetés sur le coin d'un banc
À deux pas des Restos de Coluche
Regarde-les avec leurs airs
De troubadours sans limonaire
De sans-amour, de sans-affaire
Partis du fan-club abbé Pierre
Regarde-les rue de l'Élysée
Looker les vitrines à casse-croûtes
Moi qui connais, toi qui connais
Le prix d'une gare, d'une autoroute
Regarde-les tous ces flingués
Ces oubliés du bout de l'an
Qui te racontent, mais c'est pas vrai
Qu'ils ont un jour été sultans
Regarde-les ces chiens sans laisse
Ces sans-domicile, sans-famille
Ces presque-rien et leur détresse
Ces décousus du bout de la nuit
Regarde-les version française
Tous ces Chaplin des temps nouveaux
S' payer la une sans parenthèses
Des super géants de l'info
Regarde-les tous ces flingués
S' traîner jusqu'à rue de la Pitié
Presque à genoux, presque à tomber
Et les gens passent sans s' retourner
Mais regarde-les dans leurs palais
Ils pensent à eux souvent pourtant
Cette nuit un homme vient de crever
Sous les fenêtres d'un Président
Regarde-les rue des Flingués
Tout chiffonnés de vieux chiffons
Tout humiliés de vieux cartons
Pour se protéger du froid, c'est con
Regarde-les clopin-clopant
Comme de vieux jouets de peluche
Qu'on a jetés sur le coin d'un banc
À deux pas des Restos de Coluche ».


Dernière chanson de l’album. Et dernière chanson cosignée par Christian Accardi. Tant je t’aime. Une femme de marin attend dans un port l’homme que tant elle aime, et qui n’est pas là. Reviendra-t-il ? L’océan est-il si bête qu’il le ramènera ? Une lampe-tempête est clouée sur la porte, les souvenirs sont « dockés » sur les quais méthaniers, mais si le cœur de la dame se prend pour un poète, le port demeure triste et il pleut sur Le Havre, trop paisible. Serait-ce parce que les rêves, comme les bateaux et les pays où ils mènent, ne sont pas les mêmes pour lui que pour elle? L’attente sera vaine et la dame demeurera seule dans sa tour, dans son phare. Une jolie chanson douce-amère sur les doutes, l’incertitude, la désillusion et, finalement, la solitude.
« J'ai cloué sur la porte une lampe tempête,
L'océan est si bête qu'il te ramènera
Quand mon cœur  certains soirs se prend pour un poète,
J'ai l'roulis, c'est pas grave, puisqu'il pleut sur le Havre.
Un port c'est toujours triste quand se lève le jour,
Y'a plus d' femme, plus d'artiste, où vont les mots d'amour ?
Sur les quais méthaniers où se dockent les souvenirs,
Les marins fatigués n'osent plus repartir ...
Tant je t'aime, tant je t'aime,
Je te donne mon cœur, mon corps, ma solitude ...
Tu parlais de cargos aux prénoms norvégiens,
Moi, de pays chauds, où chantent les matins,
Nous rêvions d'Amérique, d'îles au trésor,
Que c'est beau la Baltique qu'épouse la mer du Nord ...
Tant je t'aime, tant je t'aime,
Je te donne mon cœur, mon corps, ma solitude,
Tant je t'aime, tant je t'aime,
J te donne les jours qui meurent, l'incertitude ...
J'ai refermé la porte de ma tour, de mon phare,
Je rêve que le vent me porte, mais ce n'est qu'illusoire,
Des illusions perdues, nos amours ne sont plus,
Que ce mal qui m'entrave,
Puisqu'il pleut sur le Havre...
Mais qu'importe, c'est pas grave
Puisqu'il pleut sur le Havre ... ».

A suivre.

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