mercredi 4 janvier 2017

Michèle Torr, les années Bruga.


C’était il y a… 30 ans.
A partir du 20 janvier 1987, Michèle Torr monte pendant quinze jours sur la scène parisienne de l’Olympia pour fêter, avec quelques mois de retard il est vrai, ses vingt ans de carrière. Elle avait déjà commencé à la faire en octobre 1985, déjà avec un peu de retard, avec la sortie d’un album intitulé 20 ans d’amour, Je t’aime encore, Aventurier….
« 20 ans elle est adolescente
Notre aventure d’amour
20 ans que vos bravos m’inventent
Un rêve chaque jour
20 ans d’amitié de tendresse
De désespoir aussi
Feux de joie fusées de détresse
Qui éclairent ma vie... »
Drôle de titre pour un album. C’est qu’il comportait le titre des trois premières chansons du disque. Il devait revenir aux radios et au public de choisir parmi toutes les chansons du trente-trois tours, celle qui deviendrait un quarante-cinq tours, et peut-être un tube… Quelques semaines plus tard, alors qu’un quarante-cinq tours promotionnel comportant Je t’aime encore (signée C. Jérôme, avec Jean Albertini) et 20 ans d’amour, signée Claude Lemesle et Gilles Marchall) a été envoyé aux radios, c’est finalement Aventurier (signé par deux jeunes talents : Pascal Stive et Jean-Michel Bériat) qui sera commercialisé, avec Je t’aime encore en face B. C’est que la direction artistique (assurée essentiellement par Jean Albertini et Jean Vidal, le mari de la chanteuse) de Michèle Torr hésite entre deux voies : celle de la modernité avec des mélodies, des rythmes et des orchestrations dans l’air du temps d’une part, et de grandes chansons dans la lignée la plus traditionnelle d’autre part. Avec Aventurier, c’est la voie de la modernité que la chanteuse emprunte, laissant sur le côté celle de la tradition, au grand dam, paraît-il, de Pierre Delanoé, qui n’en tiendra cependant pas rigueur à Michèle Torr, puisque, après La couleur des larmes sur le précédent album (Donne-moi la main, donne-moi l’amour, avec en particulier une mélodie de Mike Oldfield), il lui offrira encore quelques chansons pour ses disques suivants: Grâce, en 1986, en hommage à Grâce Kelly, regrettée princesse de Monaco décédée suite aux conséquences d’un accident de voiture quelques années plus tôt, Argentina en 1989, Les femmes dansent et Ma vie avec toi en 1991 - sur l’album Vague à l’homme -, ou encore -sur l’album Seule- Le sac en 1997).


Un disque, pour fêter vingt ans de carrière, oui… mais pas de scène parisienne programmée. C’est que Michèle Torr aurait aimé pour cela un spectacle original. Elle avait rêvé un show un peu théâtral avec des tenues de scène en noir et blanc, inspiré du music-hall ou de Broadway, qu’elle aurait présenté sur une grande scène comme celle du Palais des Congrès… Elle a rêvé cela, oui mais…  Mais elle a fini par se rendre compte que, du fait de ses choix de chansons antérieurs, il serait impossible d’intégrer ses tubes à un tel spectacle. Elle aurait pu, à l’instar d’une Barbara montant sur la scène du Zénith avec Lili Passion, accompagnée de Gérard Depardieu et Gérard Daguerre (L’homme... aux yeux très verts qui participera grandement à A mi-vie en 1993), elle aurait pu essayer de faire quelque chose de radicalement différent de ses deux Olympia précédents. Elle aurait pu mais… Mais elle sait bien que, quand les gens viennent voir un chanteur, il y a les plus fidèles qui attendent toujours quelque chose de neuf, certes, mais il y a aussi tous ceux qui viennent une fois, ou de temps en temps, et ceux-là attendent de réentendre les chansons de l’artiste qu’ils ont encore en mémoire, dans l’oreille et dans le cœur, en bref, ses tubes ! Elle sait que, ceux-là, il est risqué de les décevoir alors… Alors elle renonce à ce projet et elle décide de fêter ses vingt ans de carrière sur la scène de l’Olympia, en janvier 1987.
« « Et ça fait vingt ans que j’aime
Envers et contre tout
Mes amis de la Bohème
Je les fête avec vous
Mes vingt ans d’amour
Et c’est la nostalgie
Qui souffle et rallume les bougies ».


Mais entre-temps, elle aura enregistré deux quarante-cinq tours, en 1986, un en avril, France, ton romantisme fout le camp, dans la voie de la tradition, sur un plan plus politique cette fois, pour une France à l’ancienne, et contre une France urbanisée à l’excès, assujettie à l’Europe, qui a fait couler de l’encre mais n’a pas convaincu (Grâce en face B).
« Ils ont bâti des tours qui me donnent le vertige
Ils ont planté autour des banlieues de prestige
Il fallait à tout prix qu’ils te rentabilisent
Des couloirs des mairies aux clochers des églises…
Ils te partagent à Londres, à Madrid, à Paris
Ton drapeau fait de l’ombre sur l’Europe éblouie
On te sort en cachette en souvenir du passé
Tu n’oses plus faire la fête au quatorze juillet…
Je veux Victor Hugo criant de Guernesey
De Gaulle ou Clémenceau : « Rassemblez les Français… »
Aïe !
On voit bien de quel type d’idéologie la chanteuse a pu se voir taxée.
Et Amsterdam (reprise d’un énorme tube de l’hiver précédent, par Cora) avec une perle en face B : Et si plaisir d’amour, signé, avec Jean-Pierre Lacot, par une autre provençale, marseillaise quant à elle, Christiane Mouron, dont le nom de scène est simplement Mouron. Venue de la troupe de Fugain, le Big Bazar, elle offre là, avant de l’enregistrer elle-même sur un album intitulé  A l’état brut, une des merveilles de son répertoire à Michèle Torr.
« J’m’en fous d’l’hiver
J’m’en fous d’mourir
J’m’en fous de perdre
J’m’en fous d’vieillir
D’êtr’ la plus belle
D’être en premier
J’m’en fous d’la chance
J’m’en fous d’gagner
Folle de la vie
Folle de l’amour
De tous les gens
De tous les fous
Folle du cœur
 Folle tout court
De toi de vous de moi de nous… »
Celle-ci par contre, elle la chantera, à l’Olympia… Et elle pourrait la rechanter, encore et encore aujourd’hui.
Deux quarante-cinq tours, donc, mais aussi un album, Qui, qui va sortir en novembre 1986, avec, en plus des cinq précédemment citées,  de belles chansons comme Un mot de toi et Le ciel s’en va (signées Pankratoff et Radiquet) ou Dans ma vie (musique de Romain Vidal, compositeur, pour la deuxième fois après Juillet-Août à Tahiti en 1980, pour sa maman qui lui dit « merci » en chantant Ne me prenez pas mon fils, Merci pour les mamans ou Si tous les enfants du monde!)
Entre 1985 et 1986, elle aura enregistré toutes ces chansons, mais elle aura aussi continué de se produire sur scène, partout en province, et c’est là qu’Aventurier aura un rôle dans l’histoire dans laquelle va apparaître un protagoniste prénommé… Patrick !


Flash-back: la scène se passe début des années 70 dans les environs de Bergerac. Le jeune Patrick Brugalières, qui joue déjà de l'accordéon depuis ses 5 ans et demi, est en vacances quelques jours dans la ferme de ses cousins. C'est l'époque où la promotion des chanteurs passe par des disques souples dans les paquets de lessive, ou encore, des photos d'idoles insérées dans des produits alimentaires. Le jeu des 1000 Francs se termine à la radio, c'est l'heure du dessert, et c'est à ce moment que l'image de Michèle Torr surgit à l'ouverture d'un paquet de café. Aidée par la force aromatique du produit, l'icône de la "néo-madone" ne manque pas de provoquer la ferveur… S'adressant à lui, le grand oncle de Patrick s'exclame : "Tu la connais, elle ? - "Euh, non" - "C'est Michèle Torr. Ah ! Oui, elle, elle chante bien ! C’est une bonne chanteuse…"
Le musicien en herbe ne se doute alors pas que cette séquence cocasse, connaîtra plus tard une résonance inattendue, ni qu'il racontera l'anecdote à Michèle dont il deviendra le chef d'orchestre.


Dans les années 80, Patrick a tout juste vingt ans. Son instrument, "musica non grata" dans les conservatoires, fait qu'en continuant à le pratiquer, il a passé un bac technique, enchaîné avec une prépa, puis une première année d’école supérieure de commerce à Bordeaux. Sa voie semble toute tracée au sein de l’entreprise familiale mais…
La passion de l'accordéon est tenace, l'admiration forte pour Marcel Azzola, Richard Galliano, entre autres. Sa rencontre avec Bernard Lubat, sa présence assidue dans l'univers des jazzmen d'Uzeste, sa faim de découvertes musicales l'éloignent de l'univers des musiques de variétés pour quelque temps.
L'univers de l'école de commerce et des métiers du bois quant à eux, ne font déjà plus partie de ses projets professionnels.
Les ingrédients sont réunis pour qu'un jour, la rencontre ait lieu entre Michèle et Patrick. Dans le Vaucluse, le village du Thor abrite alors une des écoles d'accordéon les plus en vue. Elle est dirigée par Jacques Mornet, professeur aujourd'hui mondialement reconnu. C'est là-bas que Patrick choisi de se perfectionner. Durant deux ans, il suit des cours d'accordéon de concert notamment, tout en faisant le métier près de Marseille dans l'orchestre de danse de Gabriel Murat. Puis, il monte son propre orchestre qui deviendra le "Groupe Bruga".


Deux ans encore, et c'est grâce à l'entremise de François Comtat, producteur de spectacles vauclusien, ami de Michèle et Jean Vidal que la rencontre se fera. Le Groupe Bruga avait tourné une vidéo de quelques titres en live. Elle donna envie à Michèle et Jean Vidal d'en entendre plus, d'autant qu'ils cherchaient à changer de formule sur scène. La rencontre "audition" eut lieu entre Noël et le jour de l'an à l'auditorium de Vaucluse. La restitution en direct, au plus proche des arrangements studio originaux séduit Michèle et Jean, en particulier sur des titres comme Aventurier, Midnight Blue en Irlande, ou Donne-moi la main, donne-moi l’amour. L'orchestre, précurseur de l'utilisation d'informatique musicale mélangée au jeu live des musiciens, parvenait à restituer des sonorités de façon très surprenante pour l'époque.
Après un temps de répétition, le Groupe Bruga apparaît pour la première fois aux cotés de Michèle 29 mars 1986, dans l'émission Champs-Élysées. Michèle Torr est l’invitée d’honneur, à l’occasion de la sortie de son quarante-cinq tours comportant France, ton romantisme fout l’camp et Grâce (lors de cette émission, elle a chanté aussi Aventurier), Suivirent de nombreux concerts, puis Michel Drucker à nouveau le 17 janvier 1987, juste avant…


C'était il y a trente ans...


Le mardi 20 janvier 1987, accompagnée par l’orchestre « Bruga », Michèle Torr monte sur la scène de l’Olympia, pour la générale d’un spectacle qui sera donné pendant quinze jours, ce qui fera d’elle, selon le magazine Platine, après ses Olympia de 1980 et 1982, la record-woman des chanteuses se produisant sur une scène parisienne pendant les années quatre-vingts. Un spectacle par lequel elle fête donc ses vingt ans de carrière. 


Pour la circonstance, ce sont des tenues signées par le couturier Jean-Louis Scherrer qu’elle a choisies. Pour la première partie un smoking-pantalon crème sur une chemise bleu ciel avec cravate, beige également, pour la seconde partie une robe noire avec broderies et dentelles dans lesquelles les lumières se jouent de la transparence…
C’est pas moins de vingt-six chansons qu’elle va successivement interpréter sur la scène du boulevard des Capucines, parmi lesquelles 20 ans d’amour aura une place privilégiée, en fin de première partie.

Comme en 1980, elle commence avec Ma première chanson, et puis on retrouve tous ses tubes, ceux des années soixante-dix (Je m’appelle Michèle, Discomotion, J’aime, Emmène-moi danser ce soir) mais aussi ceux des années quatre-vingts (Lui, Midnight Blue en Irlande, A mon père)  et puis les petites dernières (Pas bien dans sa vie, Donne-moi la main, donne-moi l’amour, Chanson napolitaine, Aventurier, Amsterdam, Qui) ainsi que quelques chansons méconnues, plus confidentielles, comme Le pont de Courthézon face B de Pendant l’été qui a connu un joli succès en 1980, Romantique féminine, Le ciel s’en va, Le château des grisailles, la couleur des larmes, que le public le plus fidèle aime déjà retrouver, mais aussi Et si plaisir d’amour et la reprise de Les Roses blanches de Berthe Silva, comme en 1980. Et de même qu’en 1982 elle avait chanté Juillet-Août à Tahiti, c’est Dans ma vie qu’elle va interpréter cette fois « sur une musique de Romain Vidal », et c’est son fils !


Demandez le programme ! Vous y trouverez les noms de tous ceux, musiciens du groupe Bruga, choristes et techniciens, qui ont participé à l’élaboration et à la réalisation de ce spectacle !


Le spectacle va se terminer par deux chansons qu’elle interprète pour la première fois sur scène. C’est d’abord  Hymne à l’amour, d’Edith Piaf. Avant d’entonner ce monument de la chanson, Michèle Torr confie les réticences qu’elle a eues à le faire, dues à l’admiration qu’elle voue à Piaf dont elle n’a jusqu’à ce moment enregistré que Exodus, avec laquelle elle a tout de même gagné le concours de chant On chante dans mon quartier,  ce qui lui a valu sa carrière, et L’homme à la moto,  en face B de Les roses blanches, sorti en Belgique en 1980 puis sur le trente-trois tours Midnight Blue en Irlande en 1983. Elle a juste un peu adapté les paroles et chanté, à la place de « Je me ferais teindre en blonde… » :
« J’irais dans les eaux profondes
Si tu me le demandais… ».
Est-ce de là qu’est venue l’expression « la Piaf blonde » ? Ou bien de l’Olympia 80 dont on a dit qu’on n’avait pas vu « ça » à Paris - à savoir un tel engouement - depuis… Piaf ? 


La seconde, c’est une chanson inédite dont elle avoue dans un souffle avoir signé les paroles, elle qui n’en avait fait que deux fois l’expérience dans le passé, avec Hey hey, adaptée de The sun’s gonna shine  en 1965, et Une fille m’a pris celui que j’aime, adaptée de There goes the boy I love with Mary, la même année, sous la houlette d’une célèbre adaptatrice de chansons étrangères, par ailleurs auteur-compositeur, nommée Mya Simille (un pseudonyme, évidemment, pour Micheline Helyett). La chanson de 1987 est beaucoup plus personnelle : elle s’intitule Je n’ai pas les mots et Michèle Torr l’a écrite en hommage à sa mère, décédée le 28 décembre 1965 dans un accident de voiture. Après  Ma mère a pleuré et Maman la plus belle du monde en 1981, dans l’album J’en appelle à la tendresse, dont le quarante-cinq tours avait pour visuel la photo de la chanteuse bébé dans les bras de sa mère. Hommage à celle qui rêva pour elle-même la vie qui sera celle de sa fille. Chanteuse. La grande maison de pierre qui domine la vallée de la Durance, à Mérindol, près de Cadenet, le village où elle est née, le bonheur de chanter… C’est un portrait (voix, yeux, joie, colère, caresse, tendresse) en forme de tableau représentant un paysage de la terre natale : lumière, mistral, ruisseau… 
« Les mots sont maladroits, les mots sont inutiles, on ne raconte pas la lumière… »
Ce sont les chœurs, les murmures, qui expriment la peine, la culpabilité peut-être, et surtout l’amour d’une enfant pour sa mère. Malheureusement, Clémente Tort n’est plus de ce monde pour les entendre. La musique est signée Guy Mattéoni. Une deuxième version, en studio celle-ci, sera présente sur l’album I remember you, en octobre 1987. Intitulée Les mots pour te dire.
Le final, ce sera J’en appelle à la tendresse. Son hymne à l’amour à elle.
C’est un triomphe. L’Olympia est plein comme un œuf et l’ambiance survoltée. 


Malheureusement ce spectacle n’a pas fait l’objet de la sortie d’un album, pour cause de changement annoncé de maison de disques, après quatorze ans chez AZ. C’est le seul dont on n’ait aucune trace, avec celui de 2015, pour lequel on espère que, quant à lui, il se passera enfin quelque chose.


Avec ce spectacle, pendant encore près de deux ans, c’est aussi avec le groupe  Bruga que Michèle Torr va continuer de sillonner les routes de France et parfois d’ailleurs. Mais elle va s’éclipser pour un moment du paysage parisien… 


C’est que de nouveaux projets sont en train de mûrir. D’abord, il s’est murmuré qu’un quarante-cinq tours devait voir le jour au printemps 1987, avec une chanson intitulée Adieu photographe qui n’a peut-être même jamais été enregistrée. En septembre de la même année, c’est un disque de reprises de grandes chansons du patrimoine, Chansons de toujours,  (La mer, La vie en rose, mais aussi A bientôt nous deux, Ce monde, Kathy cruelle…) qui paraît en toute confidentialité. Aucune promotion… C’est le dernier disque de cette période chez AZ. Car, pour l’année de ses quarante ans, c’est un grand retour qui est prévu pour le mois suivant, avec un nouvel album, dans une nouvelle maison de disque, Zone Music, qui fait partie du groupe Charles Talar. Mi octobre paraissent l’album et le quarante-cinq tours intitulés I remember You qui précèdent une très longue série de passages télévisés. On y voit sur une photo en noir et blanc une jeune femme grave, aux cheveux attachés, les épaules dénudées émergeant d’un flot de dentelle noire, qui regarde ailleurs… Mais son prénom, son nom, le titre de l’album et … ses lèvres sont du rouge le plus vif ! Le disque comporte une dizaine de chansons, dont certaines sont graves en effet, comme Fleur de mai, qui évoque de façon infiniment pudique la mort d’une mère, aux alentours de Noël …


«A la Noël
Maman était très belle
Comme la poupée  au pied du sapin vert…
Dis-moi pourquoi
Je n’aime plus les Noëls
La vie passe et rien n’est plus pareil… »,
sur une musique des frères Gibb.
Une mère à qui un autre hommage est rendu avec Les mots pour te dire, déjà entendue à l’Olympia, en janvier.
Emotion d’une mère qui chante, pour la troisième fois sur une musique de son fils, la beauté de la vie, avec Les choses de la vie qui « sont une symphonie… ».
Nostalgie avec I remember You:
« Dans un aéroport lointain
Ne viens pas vers moi
Ne dis rien
Tout est bien comme ça », chantait-elle en 1979, dans Ma première chanson, mais là voici qui rêve de retrouver le premier amoureux dont la vie l’a séparée, le temps d’une chanson :
« Dis j’aimerais avoir un rendez-vous
Pour savoir si tu as changé
Et si tu as toujours le goût
Des voyages à l’étranger…
Dis j’aimerais avoir de tes nouvelles
Savoir si tu as une amie
Et si tu lui rends la vie belle
Touts ces choses que l’on oublie… ».
Nostalgie des années soixante avec Sixtees et avec la reprise de C’est dur d’avoir seize ans… à quarante ans.
Légèreté de Carnaval à gogo, avant de revenir à la gravité, déjà annoncée dans I remember You :…
« Dis j’aimerais te parler du passé
Des chemins que l’on a suivis
Je ne pourrai jamais t’oublier
Toi le premier de ma vie… »,
alors même que :
« Dis j’attends un peu comme autrefois
Quand tu rentrais tard dans la nuit
Mais il y a longtemps déjà
Que mes petits matins sont gris… », 
car si l’amour, c’est la vie en rose, viennent après le temps où rien ne va plus et les drames des amours trahies : Et toute la ville en parle, de Toi émoi quand Tu ne vaux pas une larme ! Les affres de la passion en rouge vif.



« Chanter l’amour imaginaire
Je connais le sujet par cœur
Mais je finirai par me taire
J’irai écouter les chanteurs »,
Chanson d’adieu, 1985.
Chanter l’amour  sans cesse semble donc avoir lassé la chanteuse, qui aspire à se renouveler. Elle avait conclu ses précédents albums avec des chansons sur ce thème, de plus en plus grandiloquentes, comme Mélancolie femme adaptée des Moody Blues, La passionaria ou Reviens. El la voici qui choisit de le chanter cette fois de façon franchement tragi-comique, entre théâtre de boulevard (Et toute la ville en parle) et cinéma, (Toi émoi) pour terminer avec un titre surprenant, où la gentille ex-amoureuse se métamorphose en harpie malveillante qui glapit aux oreilles du goujat qu’elle a aimé non plus: « Same player shoots again » (Toi émoi) mais :
« Même ton chien est content
Que tu quittes la maison
Même pas tes amis
Ne te réclameront…
Je veux te voir partir
Je n’ai pas de regrets…
A la bourse de l’amour
Tu ne vaux pas une larme
Et j’appelle au secours
Pour être sûre que tu t’en ailles… »,
avec une stridente voix de tête. La chanson est signée Michèle Torr (c’est la deuxième de l’album, et pas la moindre) et Daniel Mecca. Elle connaîtra une deuxième vie, avec pour titre Dans le blues de l’amour et des paroles et une interprétation différentes sur scène en 1996 puis sur l’album Seule en 1997.
C’était là le sens des lèvres rouges. Chanter l’amour oui, mais cette fois jusque dans l’outrance.
« Un demi-succès c’est vrai » (Ma première chanson).

L’entrée du trente-trois tours au Top Trente se contentera de rester « frissonnante », peut-être parce que le public de la chanteuse ne perçoit pas la dimension parodique de l’album, ou bien est-ce qu’elle n’est  pas à son goût. Et I remember You, malgré des arrangements « roots » à la française signés Guy Mattéoni et un beau solo de saxo ne suivra pas les traces d’Et tu danses avec lui de C. Jérôme au Top Cinquante.


Tant pis. Au printemps suivant c’est sur Et toute la ville en parle que mise la chanteuse, et le second extrait de l’album sort en quarante-cinq tours avec la complicité de France Soir qui prête son nom pour faire de la pochette la première page d’ « un journal à scandale ». Il y avait, c’est certain, matière avec cette chanson à donner à l’album un second souffle mais…
Mais si Et toute la ville en parle est bien devenu un tube, c’est parce qu’elle a été confiée à une chanteuse à la gloire éphémère répondant au nom de Margaux, au début des années quatre-vingt-dix,  et la chanson, en 1993, a tenu toutes les promesses que laissaient entrevoir les prémisses de la réception par le public et par les médias du titre interprété originellement par Michèle Torr. Car la chanteuse a brutalement souhaité en interrompre la promotion à peine amorcée. C’est à peine si on l’a vue un vendredi soir sur TF1 dans Lahaye d’honneur… Plus de radios, plus de télés, plus d’articles dans la presse… Si on l’a vue dans les journaux, ce fut pour promouvoir son livre La cuisine de ma mère, paru en juin 1988. Et si elle a continué de se produire sur scène, elle s’est bien gardée d’inclure Et toute la ville en parle dans son tour de chant.
C’est pourtant « sa » chanson…


« Il paraît que tu sors avec elle
Depuis au moins dix jours
Il paraît qu'elle est plus qu'une amie
Pas encore un amour
Il paraît qu'elle a su te donner une autre identité
Que tu avais perdue à vivre à mes côtés
Il paraît qu'elle est douce et gentille
Et que tu t'habitues
Il paraît qu'elle s'installe dans ta vie
Sans que tu l'aies voulu
Il paraît que c'est venu comme ça
Que tu n'as rien choisi
La tendresse qu'elle te donne
Ressemble à un défi

Et toute la ville en parle
Avec des mots qui blessent
Comme les pages à scandales
Où j'apparais sans cesse
En victime intégrale
Et toute la ville en parle
Avec des mots d'injures
Comme à un tribunal
Où je ferais figure
D'accusée principale


Il paraît que tu la couvres de fleurs
Au premier vent d'automne
Il paraît qu'à en croire la rumeur
Tu ne crois plus personne
Il paraît qu'elle t'attend chaque jour
Chaque heure, chaque minute
Mais l'amour qu'elle te porte
Ressemble à une insulte

Et toute la ville en parle
Avec des mots qui blessent
Comme les pages à scandales
Où j'apparais sans cesse
En victime intégrale
Et toute la ville en parle
Avec des mots d'injures
Comme à un tribunal
Où je ferais figure
D'accusée principale

Et toute la ville en parle… »


La chanson (quand Madame découvre par les « on dit » ce qu’elle soupçonnait: que Monsieur l’a trompée) s’insérait entre l’aveu d’une déception amoureuse (I remember You) et le tumultueux  retour du mari volage précédant le pardon (Toi émoi), avant l’éjection du malotru hors de la maison familiale (Tu ne vaux pas une larme). On était plus dans le vaudeville que dans la tragédie mais…
Mais du rire aux larmes la frontière est parfois peu visible et on aime comme on rit : parfois jaune. Alors, Michèle Torr l’expliquera elle-même sur la scène de l’Olympia en janvier 1996 ainsi que sur son album Le meilleur de Michèle Torr en public, si elle décide de ne plus chanter ce titre,  c’est que, quand elle a retrouvé dans sa chanson l’écho de ce qu’elle était en train de vivre, son couple avec Jean  Vidal traversant une crise majeure qui se soldera, après une apparente réconciliation en 1989, par une demande de divorce en 1990, elle a décidé de le bannir de son répertoire. Mais le temps ayant « arrangé » les choses, elle reviendra sur sa décision et reprendra donc « sa » chanson, définitivement, en 1996, et on la retrouvera dans plusieurs tours de chant, y compris celui de son spectacle au Trianon, le 18 octobre 2015, Intimiste.


Et « Bruga » dans tout ça ? Ce n’est pas avec eux que les albums studio Chansons de toujours et I remember You ont été enregistrés. Car la frontière entre musiciens studio et musiciens de scène reste difficile à franchir. Ce n’est pas non plus avec eux que Michèle Torr s’est produite sur les plateaux télévisés. Par contre c’est toujours avantageusement accompagnée par « Bruga »  qu’elle continue de monter sur scène, avec un tour de chant dont l’ossature reste la même que celle du spectacle de l’Olympia. « Bruga » l’accompagnera jusqu’à la fin de l’été 1988, pour les derniers spectacles avant la sortie de Je t’avais rapporté, en octobre 1988.
Ainsi, ils se sont produits, entre autres, pendant l’été 1988, à Talence, au Pontet, à Saint-Vongay, à Roubaix, à Valencienne, à Sisteron, à Istres, à Gaillard…


Après presque trois ans d'une collaboration soutenue le Groupe Bruga cesse d'accompagner Michèle. Aucune mésentente à l'origine de cela et Patrick a toujours en mémoire les mots élogieux de Jean Vidal à l'égard du groupe, qui le touchèrent particulièrement à l'époque. La gestion de l'orchestre devenait lourde pour Patrick, d'autant qu'il commençait à aborder plus intensément la composition. Il souhaite alors retrouver du temps purement consacré à l'artistique. Après qu'il le leur eût proposé, les membres du groupe ne souhaitèrent pas continuer sans lui.
… Clap de fin ! Mais Patrick est toujours heureux de croiser Michèle, et le "bienveillant" Daniel Mecca à l'occasion.


Merci à Patrick Brugalières qui, déjà venu apporter sa contribution en participant à l’émission du 21 novembre 2015 que le regretté Philippe Bastide avait consacrée à Michèle Torr, sur Bergerac 95, a grandement contribué à l’élaboration mais aussi à la rédaction de cette chronique sur … les années Bruga.


FIN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire