« Chanter c'est prier deux fois », ont dit Saint Augustin,
Père de l’Eglise, puis Martin Luther, théologien. La tradition chrétienne a
toujours accordé une place essentielle au chant, par lequel l'assemblée participe
à la liturgie. Par lui se transmet une bonne part de l'enseignement biblique et
catéchétique. Nous avons tous fait l'expérience de cantiques familiaux transmis
de génération en génération, que parfois l'on a chantés bien avant d'en
comprendre le sens à l’occasion de mariages, d’obsèques, de messes de Noël….
Car la sensibilité peut précéder l'intelligence. De même la prière et le chant
peuvent s'intervertir. Il arrive que des personnes ne parviennent pas à prier,
ne sachent pas prier ou soient mal à l'aise avec la prière. Le chant peut alors
se révéler pour elles un meilleur moyen d'expression, car la charge spirituelle
y est portée à la fois par les mots et la musique. Quelquefois, chanter c'est
prier sans en avoir l'air, et cela peut satisfaire notre pudeur. Le chant peut
alors devenir une école de la prière. Nous connaissons tous l’adhésion de
Michèle Torr à la spiritualité ou plutôt aux spiritualités…La foi a pu être
dans certaines périodes de sa vie une béquille, un rempart, dans d’autres un
sens donné à la vie, ou bien encore une prière universelle par laquelle elle
nous a invités avec elle à communier.
Cette chronique que vous retrouverez pendant quelques
semaines est un pèlerinage au cœur de son répertoire ou plutôt une profession
de foi, sa profession de foi, messages
plus ou moins secrets entendus à travers toutes ces chansons qu’elle nous a
offertes tout le long de cinq décennies, où il est question d’un Dieu intense,
d’un Dieu paysage, d’un Dieu passion amoureuse, d’un Dieu ange gardien, d’un
Dieu Amour, mais aussi d’un engagement et d’une spiritualité…
…Michèle Torr, une profession de Foi . En attendant l'amour, dans le
prochain album...
Ce que ne dit pas la légende, c’est que Michelle Tort, avant
de signer son premier contrat chez Philips aurait enregistré une maquette
comportant au moins un titre qui est resté inédit, puisque c’était pour
Vogue : la chanson s’intitulait Mon
Dieu que je l’aime. Premier titre, première évocation de la foi, mais on a
peu de chance de retrouver trace un jour de cette chanson ni même d’en
connaître les paroles. Car apparemment ce n'est pas la voix de la chanteuse qu'on entend sur cette maquette…
Et peut-être bien que le nom de Dieu n’apparaît dans le
titre de cette chanson que comme une expression visant à exprimer l’intensité…
(Dans Une
vague bleue, 1974.
« Je flirte avec toi
Mon Dieu comme j’aime ça… »
Comme dans Le
voyage en bateau, 1983 :
« Ah ! mon
Dieu qu’il était beau
Courant au fil de l’eau
Le voyage en bateau… »
Ou dans C’est joli la mer, en 1987 :
« Tu es entré dans mon regard
Dieu qu’il était chaud cet espoir… »
Ou encore dans Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous,
(re)prise à Barbara en 2000 :
« Mon Dieu que j’avais besoin de vous » dit-elle
au public)
…de l’amour humain ou d’un autre sentiment, ce qui est le
cas dans de nombreuses autres chansons.
Dans d’autres chansons encore, églises et clochers ne sont que des
éléments du paysage :
« C’est un clocher qui sonne
Et un banc qui s’ennuie… »
La province, 1984.
« Un clocher quelques maisons
Sur une place une fontaine »
Je reviendrai dans mon pays, 1985.
« Petit Jean souviens-toi de nos dimanches
Tu me trouvais très belle dans ma robe blanche
Sur les bancs de l’église je t’admirais
Timidement tu me regardais »
Petit Jean, 1985.
« Mon village
Au clocher aux maisons sages
Où les enfants de mon âge
Ont partagé mon bonheur »
Douce France, 1987.
« Un p’tit village
Un vieux clocher
Un paysage
Si bien caché »
Que reste-t-il de nos amours, 1987.
« Devant l’église une roulotte peinte en vert »,
Mais souvent l’amour
et la foi se font écho dans des titres dont le sujet est celui de la
passion amoureuse et non des convictions religieuses.
Ainsi dans Les
amoureux, 1973:
« On ne voit plus les amoureux
Prendre le Ciel comme témoin… »
« A tes genoux
Je tombe à tes genoux
Comme à l’église
Lorsque l’on prie »
Dans A tes
genoux, 1976.
« Aimer comme je t’aime
Est un bienfait de Dieu
Et je veux sur ce thème
Broder des jours heureux »
Dans Aimer
comme je t’aime, 1976.
« Mujer si puedes tu con Dios hablar
Preguntale si yo alguna ves
Te he dejado de adorar… »
Dans Perfidia,
1976.
« All
I do is spray
The Lord
above will let me
Walk in the
sun once more”
Dans Stormy weather, 1976.
C’est aussi le cas en 1982 avec A faire pleurer les femmes :
« Tu ne seras jamais malheureux
Parce que... tu as des yeux…
A faire pleurer les femmes
A leur faire des enfants
A leur faire croire en Dieu… »
Dans Midnight blue en Irlande, en 1983:
« Midnight blue
Dans l’église à genoux
Je pense aux années bleues
Où nous étions heureux ».
Dans Je
l’aime, en 1983 :
« Je l’aime à
bâtir des cathédrales…
A m’en crucifier le cœur … »
Dans Mariage, en 1984 est évoquée
brièvement une cérémonie religieuse:
« Dans l’église
enchantée
Les cloches qui sonnaient
Et les enfants qui chantaient
Et vivent les mariages d’amour… »
« Ensemble nous revivrons
Paradis et enfer »,
Tu ne vaux pas une larme, 1987, Dans le blues de l’amour, 1997.
Dans Puisque c’est un adieu, en 1988, il
est davantage question d’un dieu qui serait une sorte de Cupidon:
« Puisque c’est un adieu pour toi et moi
La plus belle des histoires emporte-la
Si l’amour a un dieu qu’il n’oublie pas
Je suis prête à le croire encore une fois… ».
Passion fatidique, en 1988 : l’homme aimé est
déifié :
« Toi seul mon
unique
Mon Dieu mon amour ».
« Mais je sais que chaque nuit
Je dis à Dieu merci
De m’avoir donnée à toi »,
La vie avec toi, 1991.
Puis la foi est présentée comme l’ultime rempart contre les
amours interdites :
« Oh ! mon Dieu protégez-moi
De faire cette folie folie
Sans trêve empêchez-moi
De faire des folies folies »,
Danger liaison, 1991.
« Au secours car je tombe
Et c’est un péché
Passer ton seuil me tente
Retiens-moi d’entrer »
Au secours, 1995.
Rempart que l’on peut
franchir en toute impunité en rêve pour accéder au septième ciel :
« C’est grâce à des péchés de rêve
Qu’on arrive au Paradis »
Là où fond la banquise, 1995.
A moins que la punition ne soit la fin de l’amour :
« Est-ce une décision divine
Ou juste une érosion mesquine
Comme une garde-robe qui lasse
Tout comme le temps l’amour passe »
Un chant de sirènes, 1995.
C’est surtout dans les reprises de chansons d’Edith Piaf que l’amour et la Foi se
trouvent évoqués ensemble :
« Dans le Ciel plus de problème
Dieu réunit ceux qui s’aiment »,
Hymne à l’amour, 1987, 1996, 2003.
Mon Dieu, reprise en 2003 et 2005, encore présente dans le spectacle
« En concert avec vous » en 2012 et 2013, est une intense prière à
Dieu pour qu’il consente à ce que l’amour pour un homme puisse durer un peu
plus.
« Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mon Dieu !
Laissez-le-moi
Encore un peu,
Mon amoureux !
Un jour, deux jours, huit jours...
Laissez-le-moi
Encore un peu
A moi...
Le temps de s'adorer,
De se le dire,
Le temps de se fabriquer
Des souvenirs.
Mon Dieu ! Oh oui...mon Dieu !
Laissez-le-moi
Remplir un peu
Ma vie...»
…Et dans Il viendra, en 1976, Dieu est remercié pour… l’existence
du Père Noël :
« Il viendra
Dieu merci ce n’est pas un rêve
Un enfant me l’a dit
Alors je le crois » !
Mais tous ces titres n’évoquent pas la Foi de façon très
profonde et cela resterait anecdotique sans les chansons dont il va maintenant
être question.
A l’époque de Salut
les copains et des yé-yés, le
sujet de la foi n’était pas très à la mode et Michèle Torr n’a pas évoqué ses
croyances avant 1968, date à laquelle elle a repris Mon ange, chanson signée
Bruno Coquatrix ; c’est par les chansons enregistrées sur cet EP qu’elle
est enfin parvenue à chanter les chansons qu’elle avait vraiment envie de
chanter et non plus seulement celles que lui imposait sa maison de disque, même
si auparavant il y a eu des titres comme La
grande chanson ou Ce soir je t’attendais…: progressivement , elle avait pu
s’orienter vers un répertoire de grande variété qui lui plaisait davantage et reprendre Mon
ange lui tenait à cœur. Une chanson en forme d’acte de contrition après une
période tumultueuse qui, si elle a permis à la jeune chanteuse devenue mère
célibataire d’obtenir le soutien de Louise de Vilmorin et de Simone de Beauvoir, lui aura aussi valu de
s’attirer la désapprobation d’une partie de l’opinion publique. La chanson
n’est peut-être pas très explicite sur le plan de la foi, l’ange à qui elle
s’adresse semble être un simple ange-gardien et aurait pu être nommé bonne étoile ou destin, mais les références religieuses sont nettes car il y est
question de pain quotidien (« …notre
pain de ce jour… »), de péchés
et d’offenses à se faire pardonner, ainsi que de méchanceté :
« Pardonnez-moi
d’être méchante
[…] Car même si je recommence
Je le ferai sans y penser ».
On imagine bien que l’ange en question, même si on comprend bien à quoi
devait penser l’a chanteuse en interprétant ce titre, se sera fait un plaisir de pardonner…
Un peu plus tard, avec la mode hippie, les comédies musicales Hair
et surtout Jésus-Christ super star,
le Christ est redevenu une figure emblématique, symbole d’une génération aussi
frivole et excentrique en apparence que désenchantée en profondeur du fait d’un
contexte historique peu réjouissant. Alors que la chanteuse aurait pu devenir
une figure de l’émancipation des femmes, elle continuait de tenter de redorer
son image en la rendant la plus lisse possible, voire déjà
« conservatrice ». Cela l’a ainsi conduite à chanter :
« Il pourrait revenir
Ce jeune homme ce martyr
Il ne finirait pas
Ses jours sur une croix »,
dans Ca pourrait être vrai en 1971. Une
chanson dans l’air du temps.
« Bientôt tu déposeras un agneau
Au fond de la crèche à Noël »
Paul, 1973.
A l’automne 1977 l’album J’aime sort : il
comporte les reprises de Petit Papa Noël et
Mon beau sapin, et sur la photo Michèle porte un manteau blanc
au col de fourrure qui laisse penser que c’est de ce disque-là qu’elle parle
quand elle dit en 2013 à l’occasion de la sortie de Chanter c’est prier que sa maison de disques lui a demandé
d’enregistrer un CD de chansons de Noël mais qu’elle l’a déjà fait. Ce disque
contient par ailleurs (et surtout) des chansons qui ne parlent pas de Noël,
loin s’en faut : J’aime, La gloire
ou bien l’amour, Je ne sais pas pourquoi, Je n’oublierai jamais, Nos arrières grands-parents, Couleurs, Quatre
saisons, Comme un voilier…
Dans Si ma musique, elle chante :
« Si la musique
N’existait pas
L’amour n’aurait plus aucun droit
Je n’aurais plus les mêmes joies
La même vie la même foi ».
Mais l’album contient surtout une magnifique chanson, en
forme de prière, sur une mélodie de Franz Schubert : c’est Dis-moi
mon Dieu, où la chanteuse exprime d’une voix profondément lyrique et
émouvante son incompréhension à l’idée que des enfants puissent être
malheureux, en particulier à l’occasion de Noël :
« Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Y a-t-il des enfants
Sans joie un vingt-cinq décembre
Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Il y en a tellement
Qui pleurent tout seuls dans leur chambre
Et pourtant, dans leurs prières
Un peu avant minuit,
Que d'enfants dans leur misère
A genoux te supplient
Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Sont-ils si malheureux
Si malheureux ».
(Paroles de Jean Albertini et Raymond Bernet sur une très
belle musique de Schubert).
Michèle Torr récidive dans le registre de la musique
classique et de la foi en reprenant en 1978, sur l’album Emmène-moi danser ce soir l’Ave Maria de Charles Gounod. Elle a chanté cette chanson plaintive,
qui est autant une supplique qu’une prière, non seulement sur scène lors de ses galas (par
exemple à l’Olympia en 1980 : on la retrouve sur l’enregistrement public) mais
aussi à plusieurs occasions lors de cérémonies religieuses qui avaient un
caractère privé, ainsi que lors d’un Téléthon en décembre 1990.
En 1981, il est question de la foi et des croyances dans J’en
appelle à la tendresse :
« Devant les synagogues devant les cathédrales
Il n’y a qu’un bon Dieu mais toujours plusieurs
diables… »
La chanson a été écrite par Didier Barbelivien et Jean
Albertini après l’attentat antisémite de la rue Copernic. Bien qu’un peu maladroite
ou ambigüe, la phrase n’a pas suscité de polémique : il y est simplement
question d’un Dieu qui serait un rempart contre la barbarie humaine incarnée
par des terroristes qui viennent mettre en danger sur leurs lieux de culte la
vie de croyants dont la religion importe peu. La chanson se poursuit en forme
d’hymne humaniste quelque peu désenchanté :
« J’en appelle à la tendresse
A l’amour s’il nous en reste
J’en appelle à tous les hommes
Que leur volonté soit bonne… »
Comme s’il pouvait ne plus exister de tendresse ni d’amour
dans le cœur de l’homme. Comme si à la volonté de Dieu pouvait se substituer
celle de l’homme. Un hymne désenchanté donc, mais pas désespéré :
« Une chanson d’espoir en somme ». Et un tube,
malgré une promotion télévisée relativement discrète.
Dans A mon père, 1983, la foi fait aussi
partie des éléments du portrait paternel :
« Il m'a récité les paroles
De tous les héros de Pagnol
Il se lève avant le soleil
Il croit en Dieu il croit au Ciel
Il est toujours auprès de moi
Des jonquilles au dernier lilas… »
Puis Michèle Torr a tenté d’exprimer ouvertement sa foi dans
certaines de ses chansons, de façon plus nettement engagée :
Dans Une
mère d’autrefois en 1985 :
« Elle leur a appris le soleil
La prière avant le sommeil… ».
Et dans France
ton romantisme fout l’camp en 1986 :
« Il fallait à tout prix qu’ils te rentabilisent
Des couloirs des mairies aux clochers des églises ».
Pour que les lieux de culte ne soient pas que des moyens de
faire des gains ou de simples musées…
Cela ne sera pas très bien perçu par le public à qui la
chanteuse donne toujours raison et elle renoncera très vite à continuer dans
cette voie d’un conservatisme pas toujours en accord avec sa biographie et
l’ouverture d’esprit qu’elle a souvent montrée par ailleurs.
« J’ai vu pleurer un soir de Noël
Un inconnu qui cherchait le Ciel …
J’ai vu la croix brûler dans le feu.»
Dans ma vie, 1986.
Et dans Touchez pas à ma ville elle ajoute :
« Touchez pas à ma ville
La rivière la forêt
Laissez-moi mes secrets
Je veux vivre tranquille
Les oiseaux vous regardent
Le Ciel peut-être aussi… »
Car la Foi continue tout de même de faire manifestement
partie de son jardin secret…
« Les hommes inventent des machines
Et par la volonté divine
La Terre tourne dans le même sens
Et les femmes dansent »
Dans Les femmes dansent, en 1991,
l’expression de la foi se teinte de féminisme pour dénoncer les dérapages de la
technologie telle que les hommes la font évoluer. La même idée sera exprimée
dans Seule,
à laquelle s’ajoute celle que, au nom de la religion que par ailleurs
ils bafouent, les hommes oppressent en plus les femmes.
« J’ai vu à travers vous le monde
Comme dans un cinéma
Les guerres les gosses qu’on tue les bombes
Dieu cloué sur la croix
Celles qui portent le voile
Ne savent plus sourire»,
Seule, 1997.
Dans A
mi-vie, la foi est trois fois
évoquée :
« Quand on a dix-sept ans on est tous éternels
On peut marcher sur l’eau on peut braver le Ciel »
A mi-vie, 1993. Pour excuser l’insolence de l’adolescence,
péché de jeunesse.
« Laissez passer Maria
Laissez-la prier tout bas
Ecoutez monter son âme
Dans la prière sévillane »,
La prière sévillane, 1993.
Pour montrer ce que l’expression de la foi peut avoir de beau et d’émouvant
chez cette mère de toréador.
Et alors que l’Abbé Pierre est déjà cité dans J’apprends
de vous (« Et vous aimez Sœur Emmanuelle et l’Abbé Pierre »)
il l’est à nouveau dans Regarde-les en 1997 :
« …ces sans-affaires
Partis du Fan-Club Abbé Pierre… »
tandis que la chanson Son paradis c’est les autres est
entièrement consacrée à Sœur Emmanuelle, en 2008. En hommage à deux de ses
« étoiles », deux de ses « héros »…dont la relation à la
Foi est évidente.
« L’hommage au Ciel d’une cathédrale… »,
Encore, 2008.
« Pour ne pas vivre seul…
On vit avec des roses ou avec une croix…
Pour ne pas vivre seul
On fait des cathédrales
Où tous ceux qui sont seuls
S’accrochent à une étoile… »
Pour ne pas vivre seul, 2008.
« Il y a dans ce rendez-vous quelque chose de
divin »,
C’est ma première, 2002.
Il s’agissait du rendez-vous avec le public, à l’Olympia
(novembre 2002 et janvier 2003).
En 2011, sur le Best Of 3 CD sorti avant l’Olympia des 6, 7
et 8 mai, on trouve trois chansons inédites : Avant d’être chanteuse, l’adaptation
des Marches
du Palais, avec d’autres paroles, ayant pour titre Vous m’avez tout donné,
dont les textes sont de Didier Barbelivien, avec qui la chanteuse renoue une
collaboration artistique commencée avec J’aime en 1977, et qui signe aussi la musique qui
accompagne le … Notre Père, une mélodie très sobre mais prenante, avec des
chœurs aux tonalités de chant grégorien et la voix de Claude Barzotti qui
récite la prière en italien. Un choix d’autant plus audacieux que la chanson
est intégrée au spectacle de l’Olympia, intitulé Avant d’être chanteuse,
et qu’on la retrouve sur le double CD et le DVD qui sortiront en février 2013.
Ce choix aurait pu déplaire, mais la presse catholique, à savoir le journal La croix et les magazines Le
Pèlerin et La vie, accueille
favorablement l’initiative et consacre trois articles à l’artiste qui en
interprètera aussi un extrait dans une émission de télévision exceptionnelle, à
20 heures 30, présentée par Daniela Lumbroso : Chabada. Et Télé Star lui a consacré à cette occasion un article
avec pour titre : « Michèle Torr : Chanter est proche de la
prière ».
C’est au cours de ce spectacle à l’Olympia, en préambule à
son interprétation du Notre père, que Michèle Torr
déclare :
« Pour moi chanter c’est donner, bien sûr c’est aimer, mais c’est aussi prier ».
C’est qu’a dû commencer à germer l’idée qu’elle va exprimer
à la fin de l’année 2011, celle d’enregistrer, non pas comme le lui demande sa
maison de disque Sony un disque de chant de Noël – elle prétendra de façon
expéditive l’avoir déjà fait -, mais un disque de chansons spirituelles,
en rapport avec la religion. Dans les six mois qui vont suivre, dans le sillage
du succès des Prêtres, elle va concevoir un album qu’elle enregistrera au cours
du mois d’août 2012 dans un studio du Gard, et qui sortira le 12 novembre 2012,
alors qu’aura déjà débuté une longue tournée de près de cinquante dates avec un
spectacle intitulé En concert avec vous.
L’album s’intitulera Chanter c’est prier.
Un album de chansons qu’elle définira comme des prières « pas nécessairement pieuses (avec une
jolie diérèse, zeste d’accent provençal) mais des prières d’amour et de
fraternité ». On a toujours envie de chansons originales mais on sait bien
que les auteurs, surtout sur ce sujet-là, risquaient de ne pas répondre à une
demande de Michèle. L’idée de reprendre ces chansons, pouvaient être à la fois
un moyen de leur montrer que sa voix est l’une des meilleures pour porter leurs
mots et leurs notes, et peut-être de les convaincre qu’ils peuvent aussi (encore)
écrire pour elle. On y trouve donc, après la chanson éponyme, inédite, en guise
de préambule : Ave Maria (Aznavour…), L’envie d’aimer (Obispo…) extraite
de la comédie musicale Les dix
commandements, Chante( Didn’t it
rain), Fais-moi un signe (Palaprat, revu dans la tournée Age tendre), Je
crois en toi (Barbelivien), Toi qui m’as tant donné (Gracias a
la vida), Coupo Santo, Notre Père, Il faudra leur dire (Cabrel), La mémoire d’Abraham (Goldman)
et Quand vint la grâce (Amazing grace).
Ce qui frappe d’abord ce sont les auteurs qu’elle a
choisis : Aznavour (à qui elle a demandé, en vain, il y a longtemps déjà,
un « hymne à l’amour ») mais aussi Obispo, Goldman (à qui elle a
aussi demandé, en vain aussi, de lui écrire des chansons, et qui aurait même
voulu la voir en concert un soir, mais le rendez-vous n’a pas eu lieu…),
Cabrel… A peine plus jeunes qu’elle mais, pour la chanson, de la génération
suivante, voire de celle d’après… Comme si, puisque, malgré les sollicitations,
ils ne lui ont rien proposé, elle avait résolu de piocher, malgré eux, dans
leurs œuvres…Alors elle a enregistré une version lyrique et fidèle à l’original de Ave Maria, toute sobre de
L’envie
d’aimer, lumineuse de La mémoire d’Abraham (l’élocution
est bien plus claire que celle de Céline Dion), et Il faudra leur dire, non
pas avec une chorale d’enfants, mais en duo avec sa petite-fille, Nina
Vidal-Guignes.
Ensuite, c’est la signature de David Lelait Helo pour les
paroles de quatre titres : l’inédit Chanter c’est prier (nous en avons déjà parlé dans la chronique Michèle
Torr chante Michèle Torr), et les trois adaptations : Chante,
Toi qui m’as tant donné et Quand
vint la grâce.
Chanter c’est prier constitue un préambule, pour les paroles lui
pour les couplets, elle pour le refrain, et pour la musique Philippe Liotard,
aussi arrangeur de l’album (à l’exception du Notre Père arrangé en
2011 par Tony Meggiorin). Un rockeur et cela s’entend. Hard-rockeur même à ses
heures.
Chante et Quand vint la grâce ont toutes deux pour thème la naissance de la
foi, dans une éruption de joie pour Chante, plus dans l’intériorité et
la sobriété pour Quand vint la grâce.
Toutes les chansons
ont une histoire et celle de cette chanson-là n’est pas légère. Chant
traditionnel devenu hymne des opprimés et des esclaves qui ont trouvé dans la
foi une porte ouverte…la mémoire qu’on
n’efface pas, même si de cela il ne
reste rien dans l’adaptation de David Lelait. Si Quand vint la grâce parle
encore, après un début en forme de « Gloria », sur un rythme presque
épique, de la rencontre avec Dieu, ceux que ce thème lasse peuvent y entendre
l’histoire d‘une autre rencontre : celle de la femme avec l’homme de sa
vie, d’abord triste et seule puis relevée, illuminée quand elle est aimée, et
la mélodie est tellement belle…
Mais la plus belle, la plus personnelle, la plus intime, est
probablement Toi qui m’as tant donné. On reconnaît à peine l’original tant
elle semble écrite pour la chanteuse. La chanson, plus riche aussi bien
musicalement que pour les paroles, aurait pu venir heureusement remplacer en
concert Vous m’avez tout donné; il y a là le thème et les mots, la
sérénité de cette dernière, avec l’intensité de Je ne suis qu’une femme,
et plus encore : la densité de l’album A mi-vie, et même la
phrase finale, en espagnol (« A las cinco en punto de la
tarde » : « Gracias a la vida que ma ha dado
tanto » !). Un hymne à la vie, avec la mélancolie pudique de celle à
qui elle ne fait pas toujours de cadeau. Une véritable re-création plus qu’une
adaptation que les arrangements, discrètement « gospel »,
transforment totalement. Une très belle chanson.
Enseignant de formation (professeur d’Espagnol), David
Lelait Helo est écrivain et journaliste. C’est l’auteur de plusieurs ouvrages
sur Dalida, Barbara et Romy Schneider mais aussi de récits tel Poussière
d’homme. Il signe quasiment chaque semaine un article dans le magazine
féminin Nous Deux et c’est
vraisemblablement ainsi qu’il a rencontré la chanteuse puisqu’il lui en a
consacré plusieurs depuis l’an 2000 et a préfacé le livret du CD Michèle
Torr chante Piaf, C’est l’amour au moment où lui-même publiait un livre
sur celle-ci. C’est lui qui lui a fait connaître les originaux (du moins Gracias
a la vida et Didn’t
it rain) et proposé de les adapter. Ce qui s’est fait au mois de
juillet 2012, à Aix-en-Provence, dans la propriété de la chanteuse, et a
consolidé entre eux une belle complicité qui a éclaté au grand jour.
Et on les a vus
ensemble dans des soirées, de Bruxelles où la chanteuse donnait un concert au
Cirque Royal à Aix-en-Provence où ils sont allés à l’Opéra. Si bien qu’elle a
tenu à ce qu’il soit l’auteur d’une des chansons de son nouvel album, en 2014,
se murmure-t-il, avec pour sujet une histoire d’amour, paraît-il, très
masculine…Mais est-ce bien sûr ?
Ensuite ce sont les arrangements et les chœurs. Arrangements
que Michèle Torr a voulu « modernes », parfois inspirés du rock à la
source duquel Philippe Liotard semble s’être nourri, et cela surprend surtout
sur l’hymne provençal Coupo Santo : pas de touche
folklorique, au lieu d’arrangements traditionnels, ceux choisis par le musicien
donnent au chant un souffle épique en accord avec le sujet : la
renaissance de l’identité provençale. Et au fil des chansons, on entend en
particulier d’étincelantes guitares. Chœurs parfois chantés par Michèle Torr
elle-même, avec ses inimitables inflexions, mais aussi par une chorale parfois
discrète, parfois plus présente, qui teintent l’ensemble d’une belle couleur gospel (de Toi qui m’as tant donné à
Chante)
et même rock dans Chanter
c’est prier. Fais-moi
un signe, la plus œcuménique « …qui que tu sois, Jésus, Bouddha, Hare Krishna… »),
est très efficace et rappelle
l’insouciance hippie…Les arrangements
de ces chœurs sont signés Marielle Hervé.
Enfin, la voix. Belle, chaude, toute en nuances, elle
rappelle les intonations déjà entendues sur l’album Seule, une des plus
belles réussites de Michèle Torr sur le plan vocal. Elle fait des merveilles
sur l’intense lumière crépusculaire de Je crois en toi qui nous rappelle
que c’est sur les mélodies de Didier Barbelivien qu’elle a souvent brillé.
L’essentiel est donc là: Michèle Torr ne renie pas ce
qu’elle est : une fabuleuse chanteuse… de variétés. Sans se renier. Une
très grande voix, qui a forcé sa
rencontre avec de grandes chansons ayant en commun la foi : en un Dieu,
en son étoile, en son public, en la fortune qui lui permet de faire cette
longue et belle carrière. Au moment où l’unité conceptuelle ne doit quand même
pas faire oublier la diversité musicale, personne ne pouvait lui reprocher un
manque de sincérité : elle a toujours parlé de sa foi, de son intérêt pour
l’histoire des religions, s’est fait photographier avec son fils le jour de sa
communion, avec toute sa famille le jour du baptême de son petit-fils Samuel …
Légitime était sa démarche, même s’il y avait eu entre temps le succès des Prêtres. Plus
originale, sincère, personnelle, qu’un album de chansons de Noël, c’est certain.
Chanter c’est prier est
l’un des plus attachants albums que Michèle Torr ait enregistré mais il a
suscité quelques réserves, y compris dans son plus fidèle public, malgré la
« vraie spiritualité » qui
s’en dégage. Sorti au moment où la chanteuse avait entamé une grande
tournée, pour une remarquable série de dates, autant de stations où la chanteuse espérait retrouver le public qui, malgré le temps et
l’indifférence des médias à son égard, ne
l’oublie pas– remarquable car longue, à l’heure où beaucoup de spectacles et
tournées sont annulés- celle-ci s’est soldée par un vrai succès, même si on a
pu remarquer que l’artiste avait évolué : moins fougueuse sur scène, on
l’a vue davantage explorer l’introspection, et le spectacle était plus adapté
aux théâtres qu’aux grandes salles où il a pu paraître un peu froid et la
chanteuse plus triste. Voie de l’intériorité qu’elle souhaite continuer
d’explorer avec le spectacle intimiste du Trianon le 18 octobre 2015 et
peut-être ensuite une tournée des églises, à partir de 2016.
Ensuite, le Notre Père a suscité une petite
polémique: qu’une chanteuse de variété intègre cette prière à un concert n’a
pas été apprécié par tous et si le silence des uns était recueilli, celui des
autres pouvait être gêné. Elle a tout de même choisi de continuer de chanter Notre
Père sur scène, signe qu’elle a davantage interprété ce silence comme
du recueillement que comme de la désapprobation.
Puis, dans la foulée, elle s’est produite au Québec, avec
Herbert Léonard, pour une longue tournée, en avril et octobre 2013. Tandis que,
dans l’air du temps, Arielle Dombale a à son tour sorti un album de chansons
spirituelles, avant l’album pluri-interprètes (Anguun, Natasha Saint-Pier…) Sainte
Thérèse.
Malgré cela, beaucoup d’admirateurs sont restés sur leur
faim depuis l’album Donner. Pourquoi celui-là ? Parce que c’est le dernier à
avoir bénéficié d’une production très soignée à tous les niveaux. Qualité du
son et des arrangements, mais aussi du livret : photos, graphisme, papier,
design, mise en place, etc. Parce que les gens aiment, quand ils achètent un
disque, avoir le plus bel objet possible, même à l’ère de la musique
dématérialisée. Le Best Of qui a suivi en octobre 2002 correspondait aussi à ces critères. Tous deux ont ainsi assuré
à l’artiste des Olympias combles pendant six jours en novembre 2002 et janvier
2003. Mais depuis, les disques sortis ont un peu déçu, entre autres pour une de
ces raisons ou pour une autre. Souhaitons que le nouvel album, celui des
cinquante ans de carrière de la diva qui ne veut chanter que l’amour,
bénéficie de la même qualité de production et soit à la hauteur de toutes les
espérances…
Michèle Torr, son paradis, c’est la scène.
La conclusion de cette chronique pour laquelle vous
avez manifesté un intérêt certain tout le long de ces dernières semaines, pourrait
se traduire par une expression inspirée et - pardon - détournée, de celle de Sœur Emmanuelle : « Son paradis c’est les
autres ». Sœur Emmanuelle, amie des pauvres, petit bout de femme
à la simplicité humaine à décoiffer,
esprit ouvert et en constante recherche de réponses existentielles, dont la
palette de mots choisis fait vibrer notre conscience...Telle est l’image que
nous gardons de cette belle personne, amie de Michèle Torr.
Quel
paradis la chanteuse recherche-t-elle ? Jardin d’un Dieu paysage, d’un
Dieu passion amoureuse, d’un Dieu ange gardien, d’un Dieu amour, mais aussi
engagement et spiritualité… Un jardin fleuri où il ferait tellement bon vivre,
où le pardon n’aurait plus de raison d’être, où l’amour devient le seul souffle
de la vie…
N’est-ce pas tout simplement la scène, endroit
que l’artiste traverse dans cette quête de paradis, à la recherche du bonheur
éternel, où elle communie chaque soir avec son public, donne tout pour mieux
recevoir, se dévoile davantage avec les années qui passent pour être un peu mieux
comprise et davantage aimée, non plus seulement pour ce qu’elle représente mais encore plus
aujourd’hui pour ce qu’elle est.
« On ne possède pas le bonheur comme une
acquisition définitive. Il s'agit à chaque instant de faire jaillir une
étincelle de joie. Ne l'oublions pas : ‘’Souris au monde et le monde te
sourira." » (Sœur Emmanuelle)
Difficile de témoigner, à travers des chansons,
d’un cheminement spirituel. Cela touche tellement à l’intime… Mais nous avons
la certitude que cette conviction a toujours accompagné l’artiste tout le long
de ces cinq décennies. Issue d’une famille judéo-chrétienne, elle a gardé au
fond d’elle toutes les valeurs chrétiennes qu’elle a manifestées dans son
parcours personnel et professionnel.
« La fin d'une vie au cours de laquelle on
a toujours cherché à entrer en communion avec Dieu, la fin de cette vie
terrestre, n'est que le prélude à une symphonie. » (Sœur Emmanuelle)
Alors que le Paris de Michèle Torr n’a pas
encore débuté, se profile déjà cette aventure qui attend la chanteuse à partir
de décembre 2015 : une tournée des Eglises, produite par Michel Algay.
Comme si ce nouveau projet de tournée était sa vraie manière de nous donner
rendez-vous pour nous dire Merci. Comme si elle avait enfin trouvé la
sérénité pour nous offrir ce moment de grâce qu’elle voudrait vivre avec son
public. Comme si ses engagements de solidarité pouvaient encore plus évoluer et
prendre forme dans des lieux de culte provinciaux et –pourquoi pas ?-parisiens.
« Le véritable amour,
solide, durable, est celui qui cherche le bonheur des autres en même temps que
son propre bonheur » (Sœur Emmanuelle).
Nous croyons que Michèle Torr sera aussi là où
on ne l’attend pas forcément, mais en attendant, nous avons
Rendez-vous avec la star…
© G. Duboscq & E. Dupreuilh.