C'était il y a... trois ans.
L’album Chanter c’est prier a été annoncé en début d’année 2012. A
l’heure où les albums sont souvent conceptuels, l’idée des chansons
spirituelles était manifestement excellente. Personne n’est allé reprocher à
Michèle Torr un manque de sincérité : elle a toujours parlé de sa foi, de son
intérêt pour l’histoire des religions, chanté Mon Ange de Bruno
Coquatrix, l’ Ave Maria de Charles Gounod, un magnifique Dis-moi mon Dieu en 1977, sur l’enfance malheureuse, sur une
musique de Schubert, le Notre Père mis en musique par Didier
Barbelivien, avec Claude Barzotti, en 2011, s’est fait photographier le jour de
la communion de son fils Romain avec lui…Ecoutez encore J’en appelle à la tendresse…
« Devant les synagogues, devant les cathédrales
Il n’y a qu’un bon Dieu mais toujours plusieurs
diables… »
Légitime est sa démarche, même s’il y a eu entre temps le
succès des Prêtres. Plus originale, sincère, personnelle, qu’un album de
chansons de Noël tel que lui en avait réclamé sa maison de disques.
Mais on pouvait
craindre que, ayant eu cette idée d’un album de chansons spirituelles, comme le
concept pouvait être un peu austère, voire risqué, il ne soit pas mené jusqu’au
bout.
On pouvait
craindre ensuite que le résultat ne soit justement trop austère, ou bien que
l’album ne soit qu’un catalogue de chansons hétéroclites, ou qu’il ne déroute
le public de la chanteuse…
Et on a toujours
envie de chansons originales mais on sait bien que les auteurs, surtout sur ce
sujet-là, risquaient de ne pas répondre à une demande de Michèle Torr. Cela
faisait longtemps qu’elle réclamait un hymne à l'amour à Aznavour, longtemps qu’elle avait demandé à
Jean-Jacques Goldmann d’écrire pour elle … en vain. Alors l’idée de reprendre
leurs chansons, ainsi que du Cabrel, du Obispo (L’envie d’aimer) a été à
la fois un moyen de leur montrer que sa voix est l’une des meilleures pour
porter leurs mots et leurs notes ; et peut-être de les convaincre qu’ils
peuvent aussi écrire pour elle. En même temps, -alors qu’on pouvait craindre que
ce ne soit qu’un album de reprises de plus, après les sept de Ces
années-là en 2008, après Michèle Torr chante Piaf en
2003, après A nos beaux jours en 1995- cela a permis à Michèle Torr de
rester ce qu’elle est : une fabuleuse chanteuse… de variétés. Sans se renier.
Au moment où l’unité conceptuelle ne doit quand même pas
faire oublier la diversité musicale, l’autre bonne idée fut celle des
adaptations : Gracias a la vida vient
d’Amérique du Sud, Amazing grace d’Angleterre, Didn’t it rain d’Amérique du Nord…un peu de jazz, un peu de gospel…
La Coupo
santo en provençal vient apporter une touche folklorique. Et l’ensemble
est introduit par une chanson originale: Chanter c’est prier, qui annonce
l’essentiel : Michèle Torr ne renie pas ce qu’elle est : une très grande voix,
qui a forcé sa rencontre avec de grandes
chansons ayant en commun la foi : en un Dieu, en son étoile, en son public, en
la fortune qui lui permet de faire cette longue et belle carrière. La voix est
belle, chaude, toute en nuances, et rappelle les intonations déjà entendues sur
l’album Seule, une des plus belles réussites de Michèle Torr sur le
plan vocal.
A la première
écoute, cet album est une surprise (comme cela fait du bien d’être encore
surpris après tous ces disques enregistrés !) ; surprise car Michèle
Torr a osé aller jusqu’au bout de son idée ; surprise car avant tout, loin
d’être austère, le CD est aussi festif, joyeux que plein de ferveur ;
surprise car on a l’impression d’entrer au plus intime de la femme ; et la
voix y est belle comme jamais, on y retrouve des tons, des couleurs, qui
rappellent des chansons de toutes les époques de la carrière de la chanteuse.
Comment ne pas
se rappeler la voix de Michèle Torr enfin révélée sur les superbes chansons de Tous les
oiseaux reviennent en 1970, inflexions profondes et magnifiques
sur Pour
quelques roses, J’ai pleuré de joie ...
… se rappeler la joie de ces mêmes années exprimée
dans Bye bye l’amour (avec l’Alliance), Alors on marche et le déjà
religieux Ca pourrait être vrai, qu’on retrouve dans Chante et Fais-moi
un signe, qui rappelle aussi Histoire de la musique populaire en
1979…
…se rappeler l’émotion distillée par les vocalises de Ma
mère a pleuré sur un air d’Iménée, et qu’on retrouve sur Ave
Maria, Quand vint la grâce ou Toi qui m’as tant donné…
…Et comment ne pas penser à Maman, de Salvatore
Adamo, chanté avec Emilie Vidal en 1984 sur l’album Adieu, quand on entend
Nina, sa petite-fille, chanter avec elle Il faudra leur dire …
…Comment ne pas être ému d’entendre étinceler cette voix sur
les musiques de Didier Barbelivien avec Je crois en toi et le Notre
Père, car cet auteur-compositeur-là a si bien servi Michèle, de J’aime
en 1977 à Avant d’être chanteuse en 2011.
Mention spéciale
aussi pour l’élocution : on comprend enfin les paroles de La
mémoire d’Abraham (ce qui n’est pas toujours le cas dans la version de
Céline Dion).
Bravo enfin à
David Lelait qui a su adapter Didn’t it rain (une
performance : comme les mots et les notes jouent sur cette chanson, qu’on
imagine ravageuse sur scène !), Gracias a la vida qui résume
presque à elle seule le très bel album A mi-vie, et Amazing
grace, très lumineux.
C’est bien un album touchant et personnel qu’on écoute, où
s’expriment tant les convictions que les doutes intimes, avec la volonté déjà
affirmée de dépasser les clivages des religions pour atteindre une certaine
universalité, tout en restant profondément catholique, ainsi que les sentiments
d’une femme, dans toute la diversité de leur palette. Et il s’en dégage une
vraie spiritualité.
Si les chansons
sont diverses par leur provenance, leurs auteurs et compositeurs, par leur
musicalité (on y entend en chœur des négro-spirituals, de la musique hippie, et
même des accents grégoriens), elles parlent cependant toutes de la femme à qui
appartient la voix qui les porte.
Et cet album
souvent très émouvant, fervent, est bien une fête, grâce à la diversité des
rythmes, grâce aux beaux arrangements, très modernes, de Patrick Liotard, et
grâce aux chœurs souvent présents qui servent d’écrin à la voix de la
chanteuse.
Alors Chanter
c’est prier est bel et bien
un album magnifique, un bijou, un trésor, l’une des plus belles pépites
dans la discographie de Michèle Torr auquel les médias, la télévision, la
presse, la radio, n’ont pas réservé le bel accueil qu’il méritait.
Espérons que la tournée des églises Chanter c’est prier sera pour tous l’occasion de découvrir ou de
redécouvrir l’album du même nom.
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