Petit retour en arrière: avant le début de la tournée Chanter c'est prier, nous vous proposons une édition revue et corrigée de notre chronique de l'an dernier: Michèle Torr, une profession de foi.
« Chanter c'est prier deux fois », ont dit Saint Augustin,
Père de l’Eglise, puis Martin Luther, théologien. La tradition chrétienne a
toujours accordé une place essentielle au chant, par lequel l'assemblée
participe à la liturgie. Par lui se transmet une bonne part de l'enseignement
biblique et catéchétique. Nous avons tous fait l'expérience de cantiques
familiaux transmis de génération en génération, que parfois l'on a chantés bien
avant d'en comprendre le sens à l’occasion de mariages, d’obsèques, de messes
de Noël…. Car la sensibilité peut précéder l'intelligence. De même la prière et
le chant peuvent s'intervertir. Il arrive que des personnes ne parviennent pas
à prier, ne sachent pas prier ou soient mal à l'aise avec la prière. Le chant
peut alors se révéler pour elles un meilleur moyen d'expression, car la charge
spirituelle y est portée à la fois par les mots et la musique. Quelquefois,
chanter c'est prier sans en avoir l'air, et cela peut satisfaire notre pudeur.
Le chant peut alors devenir une école de la prière. Nous connaissons tous
l’adhésion de Michèle Torr à la spiritualité ou plutôt aux spiritualités…La foi
a pu être dans certaines périodes de sa vie une béquille, un rempart, dans
d’autres un sens donné à la vie, ou bien encore une prière universelle par
laquelle elle nous a invités avec elle à communier.
Cette chronique est un pèlerinage au cœur de son répertoire
ou plutôt une profession de foi, sa profession de foi, messages plus ou moins secrets entendus à
travers toutes ces chansons qu’elle nous a offertes tout le long de cinq
décennies, où il est question d’un Dieu intense, d’un Dieu paysage, d’un Dieu
passion amoureuse, d’un Dieu ange gardien, d’un Dieu Amour, mais aussi d’un
engagement et d’une spiritualité…
…Michèle Torr chante
la foi.
Le nom de Dieu n’apparaît dans certaines chansons que comme
une expression visant à exprimer l’étonnement ou l’intensité de l’amour humain
ou d’un autre sentiment.
(Dans Une
vague bleue, 1974 :
« Je flirte avec toi
Mon Dieu comme j’aime ça… ».
Comme dans Le
voyage en bateau, 1983 :
« Ah ! mon
Dieu qu’il était beau
Courant au fil de l’eau
Le voyage en bateau… ».
Ou dans C’est joli la mer, en 1987 :
« Tu es entré dans mon regard
Dieu qu’il était chaud cet espoir… ».
Ou encore dans Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous,
(re)prise à Barbara en 2000 :
« Mon Dieu que j’avais besoin de vous » dit-elle
au public).
Dans d’autres chansons, églises et clochers ne sont que des
éléments du paysage :
« C’est un
clocher qui sonne
Et un banc qui
s’ennuie… »
La province, 1984.
« Un clocher
quelques maisons
Sur une place une
fontaine »
Je reviendrai dans mon pays,
1985.
« Petit Jean
souviens-toi de nos dimanches
Tu me trouvais très
belle dans ma robe blanche
Sur les bancs de
l’église je t’admirais
Timidement tu me
regardais »
Petit Jean, 1985.
« Mon village
Au clocher aux
maisons sages
Où les enfants de mon
âge
Ont partagé mon
bonheur »
Douce France, 1987.
« Un p’tit
village
Un vieux clocher
Un paysage
Si bien caché »
Que reste-t-il de nos amours, 1987.
« Devant
l’église une roulotte peinte en vert »,
Les comédiens, 1999.
Mais souvent l’amour
et la foi se font écho dans des titres dont le sujet est celui de la
passion amoureuse et non des convictions religieuses.
Ainsi dans Les
amoureux, 1973:
« On ne voit
plus les amoureux
Prendre le Ciel comme
témoin… »
« A tes genoux
Je tombe à tes genoux
Comme à l’église
Lorsque l’on
prie »
Dans A tes genoux, 1976.
« Aimer comme je
t’aime
Est un bienfait de
Dieu
Et je veux sur ce
thème
Broder des jours
heureux »
Dans Aimer comme je t’aime, 1976.
« Mujer si
puedes tu con Dios hablar
Preguntale si yo
alguna ves
Te he dejado de
adorar… »
Dans Perfidia, 1976.
« All I do is pray
The Lord above will let me
Walk in the sun once more”
Dans Stormy weather, 1976.
C’est aussi le cas en 1982 avec A faire pleurer les femmes :
« Tu ne seras
jamais malheureux
Parce que... tu as
des yeux…
A faire pleurer les femmes
A leur faire des
enfants
A leur faire croire
en Dieu… »
Dans Midnight
blue en Irlande, en 1983:
« Midnight blue
Dans l’église à
genoux
Je pense aux années
bleues
Où nous étions
heureux ».
Dans Je
l’aime, en 1983 :
« Je l’aime à
bâtir des cathédrales…
A m’en crucifier le
cœur … »
Dans Mariage, en 1984 est évoquée
brièvement une cérémonie religieuse:
« Dans l’église
enchantée
Les cloches qui
sonnaient
Et les enfants qui
chantaient
Et vivent les
mariages d’amour… »
« Ensemble nous
revivrons
Paradis et
enfer »,
Tu ne vaux pas une larme,
1987,
Dans le blues de l’amour, 1997.
Dans Puisque c’est un adieu, en 1988, il
est davantage question d’un dieu qui serait une sorte de Cupidon:
« Puisque c’est
un adieu pour toi et moi
La plus belle des
histoires emporte-la
Si l’amour a un dieu
qu’il n’oublie pas
Je suis prête à le
croire encore une fois… ».
Passion fatidique, en 1988 : l’homme aimé est
déifié :
« Toi seul mon
unique
Mon dieu mon
amour ».
« Mais je sais
que chaque nuit
Je dis à Dieu merci
De m’avoir donnée à
toi »,
La vie avec toi, 1991.
Puis la foi est présentée comme l’ultime rempart contre les
amours interdites :
« Oh ! mon
Dieu protégez-moi
De faire cette folie
folie
Sans trêve
empêchez-moi
De faire des folies
folies »,
Danger liaison, 1991.
« Au secours car
je tombe
Et c’est un péché
Passer ton seuil me
tente
Retiens-moi
d’entrer »
Au secours, 1995.
Rempart que l’on peut
franchir en toute impunité en rêve pour accéder au septième ciel :
« C’est grâce à
des péchés de rêve
Qu’on arrive au
Paradis »
Là où fond la banquise, 1995.
A moins que la punition ne soit la fin de l’amour :
« Est-ce une
décision divine
Ou juste une érosion
mesquine
Comme une garde-robe
qui lasse
Tout comme le temps
l’amour passe »
Un chant de sirènes, 1995.
C’est surtout dans les reprises de chansons d’Edith Piaf que l’amour et la Foi se
trouvent évoqués ensemble :
« Ils ont versé
tant de prières :
"Délivrez-nous,
nos frères !
Délivrez-nous, nos
frères ! »
Exodus, 1976 et 2003.
« Dans le Ciel
plus de problème
Dieu réunit ceux qui
s’aiment »,
Hymne à l’amour, 1987,
1996, 2003.
« J'ai crié,
j'ai pleuré,
J'ai nié, j'ai
prié... »
La belle histoire d’amour.
Mon Dieu, reprise en 2003 et
2005, encore présente dans le spectacle « En concert avec
vous » en 2012 et 2013, est une intense prière à Dieu pour qu’il consente
à ce que l’amour pour un homme puisse durer un peu plus.
« Mon Dieu ! Mon
Dieu ! Mon Dieu !
Laissez-le-moi
Encore un peu,
Mon amoureux !
Un jour, deux jours,
huit jours...
Laissez-le-moi
Encore un peu
A moi...
Le temps de s'adorer,
De se le dire,
Le temps de se
fabriquer
Des souvenirs.
Mon Dieu ! Oh
oui...mon Dieu !
Laissez-le-moi
Remplir un peu
Ma vie...»
…Et dans Il viendra, en 1976, Dieu est remercié pour… l’existence
du Père Noël :
« Il viendra
Dieu merci ce n’est pas
un rêve
Un enfant me l’a dit
Alors je le
crois » !
Mais tous ces titres n’évoquent pas la Foi de façon très
profonde et cela resterait anecdotique sans les chansons dont il va maintenant
être question.
A l’époque de Salut
les copains et des yé-yés, le
sujet de la foi n’était pas très à la mode et Michèle Torr n’a pas évoqué ses
croyances avant 1968, date à laquelle elle a repris Mon ange, chanson signée
Bruno Coquatrix ; c’est par les chansons enregistrées sur cet EP qu’elle
est enfin parvenue à chanter les chansons qu’elle avait vraiment envie de
chanter et non plus seulement celles que lui imposait sa maison de disque, même
si auparavant il y a eu des titres comme La
grande chanson ou Ce soir je t’attendais…: progressivement , elle avait pu
s’orienter vers un répertoire de grande variété qui lui plaisait davantage
et reprendre Mon ange lui tenait à cœur. Une chanson en forme d’acte de
contrition après une période tumultueuse qui, si elle a permis à la jeune
chanteuse devenue mère célibataire d’obtenir le soutien de Louise de Vilmorin,
lui aura aussi valu de s’attirer la désapprobation d’une partie de l’opinion
publique. La chanson n’est peut-être pas très explicite sur le plan de la foi,
l’ange à qui elle s’adresse semble être un simple ange-gardien et aurait pu
être nommé bonne étoile ou destin, mais les références religieuses
sont nettes car il y est question de pain
quotidien (« …notre pain de ce jour… »), de péchés et d’offenses à se faire pardonner, ainsi que de méchanceté :
« Pardonnez-moi
d’être méchante
[…] Car même si je recommence
Je le ferai sans y penser ».
On imagine bien que l’ange en question, même si on comprend
bien à quoi devait penser l’a chanteuse en interprétant ce titre, se sera fait un plaisir de pardonner…
Un peu plus tard, avec la mode hippie, les comédies musicales Hair
et surtout Jésus-Christ super star,
le Christ est redevenu une figure emblématique, symbole d’une génération aussi
frivole et excentrique en apparence que désenchantée en profondeur du fait d’un
contexte historique peu réjouissant. Alors que la chanteuse aurait pu devenir
une figure de l’émancipation des femmes, elle continuait de tenter de redorer
son image en la rendant la plus lisse possible, voire déjà
« conservatrice ». Cela l’a ainsi conduite à chanter :
« Il pourrait
revenir
Ce jeune homme ce
martyr
Il ne finirait pas
Ses jours sur une
croix »,
dans Ca pourrait être vrai en 1971. Une
chanson dans l’air du temps.
« Bientôt tu
déposeras un agneau
Au fond de la crèche
à Noël »
Paul, 1973.
A l’automne 1977 l’album J’aime sort : il
comporte les reprises de Petit Papa Noël et
Mon beau sapin, et sur la photo Michèle porte un manteau blanc
au col de fourrure qui laisse penser que c’est de ce disque-là qu’elle parle
quand elle dit en 2013 à l’occasion de la sortie de Chanter c’est prier que sa maison de disques lui a demandé
d’enregistrer un CD de chansons de Noël mais qu’elle l’a déjà fait. Ce disque
contient par ailleurs (et surtout) des chansons qui ne parlent pas de Noël,
loin s’en faut : J’aime, La gloire
ou bien l’amour, Je ne sais pas pourquoi, Je n’oublierai jamais, Nos arrières grands-parents, Couleurs, Quatre
saisons, Comme un voilier…
Dans Si ma musique, elle chante :
« Si la musique
N’existait pas
L’amour n’aurait plus
aucun droit
Je n’aurais plus les
mêmes joies
La même vie la même
foi ».
Mais l’album contient surtout une magnifique chanson, en
forme de prière, sur une mélodie de Franz Schubert : c’est Dis-moi
mon Dieu, où la chanteuse exprime d’une voix profondément lyrique et
émouvante son incompréhension à l’idée que des enfants puissent être
malheureux, en particulier à l’occasion de Noël :
« Dis-moi mon
Dieu
Pourquoi mon Dieu
Y a-t-il des enfants
Sans joie un
vingt-cinq décembre
Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Il y en a tellement
Qui pleurent tout
seuls dans leur chambre
Et pourtant, dans
leurs prières
Un peu avant minuit,
Que d'enfants dans
leur misère
A genoux te supplient
Dis-moi mon Dieu
Pourquoi mon Dieu
Sont-ils si
malheureux
Si malheureux ».
(Paroles de Jean Albertini et Raymond Bernet sur une très
belle musique de Schubert).
Michèle Torr récidive dans le registre de la musique
classique et de la foi en reprenant en 1978, sur l’album Emmène-moi danser ce soir l’Ave Maria de Charles Gounod. Elle a chanté cette chanson
plaintive, qui est autant une supplique qu’une prière, non seulement sur scène lors de ses galas
(par exemple à l’Olympia en 1980 : on la retrouve sur l’enregistrement
public) mais aussi à plusieurs occasions lors de cérémonies religieuses qui
avaient un caractère privé, ainsi que lors d’un Téléthon en décembre 1990.
En 1981, il est question de la foi et des croyances dans J’en
appelle à la tendresse :
« Devant les
synagogues devant les cathédrales
Il n’y a qu’un bon
Dieu mais toujours plusieurs diables… »
La chanson a été écrite par Didier Barbelivien et Jean
Albertini après l’attentat antisémite de la rue Copernic. Bien qu’un peu
maladroite ou ambigüe, la phrase n’a pas suscité de polémique : il y est
simplement question d’un Dieu qui serait un rempart contre la barbarie humaine
incarnée par des terroristes qui viennent mettre en danger sur leurs lieux de
culte la vie de croyants dont la religion importe peu. La chanson se poursuit
en forme d’hymne humaniste quelque peu désenchanté :
« J’en appelle à la
tendresse
A l’amour s’il nous
en reste
J’en appelle à tous
les hommes
Que leur volonté soit
bonne… »
Comme s’il pouvait ne plus exister de tendresse ni d’amour
dans le cœur de l’homme. Comme si à la volonté de Dieu pouvait se substituer
celle de l’homme. Un hymne désenchanté donc, mais pas désespéré :
« Une chanson
d’espoir en somme ».
Et un tube, malgré une promotion télévisée relativement
discrète.
Dans A mon père, 1983, la foi fait aussi
partie des éléments du portrait paternel :
« Il m'a récité
les paroles
De tous les héros de
Pagnol
Il se lève avant le
soleil
Il croit en Dieu il
croit au Ciel
Il est toujours
auprès de moi
Des jonquilles au
dernier lilas… »
Puis Michèle Torr a tenté d’exprimer ouvertement sa foi dans
certaines de ses chansons, de façon plus nettement engagée :
Dans Une
mère d’autrefois en 1985 :
« Elle leur a
appris le soleil
La prière avant le
sommeil… ».
Et dans France
ton romantisme fout l’camp en 1986 :
« Il fallait à
tout prix qu’ils te rentabilisent
Des couloirs des
mairies aux clochers des églises ».
Pour que les lieux de culte ne soient pas que des moyens de
faire des gains ou de simples musées…
Cela ne sera pas très bien perçu par le public à qui la
chanteuse donne toujours raison et elle renoncera très vite à continuer dans
cette voie d’un conservatisme pas toujours en accord avec sa biographie et
l’ouverture d’esprit qu’elle a souvent montrée par ailleurs.
« J’ai vu
pleurer un soir de Noël
Un inconnu qui
cherchait le Ciel …
J’ai vu la croix
brûler dans le feu.»
Dans ma vie, 1986.
Et dans Touchez pas à ma ville elle ajoute :
« Touchez pas à
ma ville
La rivière la forêt
Laissez-moi mes
secrets
Je veux vivre
tranquille
Les oiseaux vous
regardent
Le Ciel peut-être
aussi… »
Car la Foi continue tout de même de faire manifestement
partie de son jardin secret…
« Les hommes
inventent des machines
Et par la volonté
divine
La Terre tourne dans
le même sens
Et les femmes
dansent »
Dans Les femmes dansent, en 1991,
l’expression de la foi se teinte de féminisme pour dénoncer les dérapages de la
technologie telle que les hommes la font évoluer. La même idée sera exprimée
dans Seule,
à laquelle s’ajoute celle que, au nom de la religion que par ailleurs
ils bafouent, les hommes oppressent en plus les femmes.
« J’ai vu à
travers vous le monde
Comme dans un cinéma
Les guerres les
gosses qu’on tue les bombes
Dieu cloué sur la
croix
Celles qui portent le
voile
Ne savent plus
sourire»,
Seule, 1997.
Dans A
mi-vie, la foi est trois fois
évoquée :
« Quand on a
dix-sept ans on est tous éternels
On peut marcher sur
l’eau on peut braver le Ciel »
A mi-vie, 1993. Pour excuser l’insolence de l’adolescence,
péché de jeunesse.
« Laissez passer
Maria
Laissez-la prier tout
bas
Ecoutez monter son
âme
Dans la prière
sévillane »,
La prière sévillane, 1993. Pour montrer ce que l’expression de la
foi peut avoir de beau et d’émouvant chez cette mère de toréador.
Et alors que l’Abbé Pierre est déjà cité dans J’apprends
de vous (« Et vous aimez Sœur Emmanuelle et l’Abbé Pierre »)
il l’est à nouveau dans Regarde-les en 1997 :
« …ces
sans-affaires
Partis du Fan-Club
Abbé Pierre… »
tandis que la chanson Son paradis c’est les autres est
entièrement consacrée à Sœur Emmanuelle, en 2008. En hommage à deux de ses
« étoiles », deux de ses « héros »…dont la relation à la
Foi est évidente.
« L’hommage au
Ciel d’une cathédrale… »,
Encore, 2008.
« Pour ne pas
vivre seul…
On vit avec des roses
ou avec une croix…
Pour ne pas vivre
seul
On fait des
cathédrales
Où tous ceux qui sont
seuls
S’accrochent à une
étoile… »
Pour ne pas vivre seul, 2008.
« Il y a dans ce
rendez-vous quelque chose de divin »,
C’est ma première, 2002.
Il s’agissait du rendez-vous avec le public, à l’Olympia
(novembre 2002 et janvier 2003).
En 2011, sur le Best Of 3 CD sorti avant l’Olympia des 6, 7
et 8 mai, on trouve trois chansons inédites : Avant d’être chanteuse, l’adaptation
des Marches
du Palais, avec d’autres paroles, ayant pour titre Vous m’avez tout donné,
dont les textes sont de Didier Barbelivien, avec qui la chanteuse renoue une
collaboration artistique commencée avec J’aime en 1977, et qui signe aussi la musique qui
accompagne le … Notre Père, une mélodie très sobre mais prenante, avec des
chœurs aux tonalités de chant grégorien et la voix de Claude Barzotti qui
récite la prière en italien. Un choix d’autant plus audacieux que la chanson
est intégrée au spectacle de l’Olympia, intitulé Avant d’être chanteuse,
et qu’on la retrouve sur le double CD et le DVD qui sortiront en février 2013.
Ce choix aurait pu déplaire, mais la presse catholique, à savoir le journal La croix et les magazines Le
Pèlerin et La vie, accueille
favorablement l’initiative et consacre trois articles à l’artiste qui en
interprètera aussi un extrait dans une émission de télévision exceptionnelle, à
20 heures 30, présentée par Daniela Lumbroso : Chabada. Et Télé Star lui a consacré à cette occasion un article
avec pour titre : « Michèle Torr : Chanter est proche de la
prière ».
C’est au cours de ce spectacle à l’Olympia, en préambule à
son interprétation du Notre père, que Michèle Torr
déclare :
« Pour moi chanter c’est donner, bien sûr c’est aimer, mais c’est aussi prier ».
C’est qu’a dû commencer à germer l’idée qu’elle va exprimer
à la fin de l’année 2011, celle d’enregistrer, non pas comme le lui demande sa
maison de disque Sony un disque de chant de Noël – elle prétendra de façon
expéditive l’avoir déjà fait -, mais un disque de chansons spirituelles,
en rapport avec la religion. Dans les six mois qui vont suivre, dans le sillage
du succès des Prêtres, elle va concevoir un album qu’elle enregistrera au cours
du mois d’août 2012 dans un studio du Gard, et qui sortira le 12 novembre 2012,
alors qu’aura déjà débuté une longue tournée de près de cinquante dates avec un
spectacle intitulé En concert avec vous.
L’album s’intitulera Chanter c’est prier.
Un album de chansons qu’elle définira comme des prières « pas nécessairement pieuses (avec une
jolie diérèse, zeste d’accent provençal) mais des prières d’amour et de
fraternité ». On a toujours envie de chansons originales mais on sait bien
que les auteurs, surtout sur ce sujet-là, risquaient de ne pas répondre à une
demande de Michèle. L’idée de reprendre ces chansons, pouvaient être à la fois
un moyen de leur montrer que sa voix est l’une des meilleures pour porter leurs
mots et leurs notes, et peut-être de les convaincre qu’ils peuvent aussi (encore)
écrire pour elle. On y trouve donc, après la chanson éponyme, inédite, en guise
de préambule : Ave Maria (Aznavour…), L’envie d’aimer (Obispo…) extraite
de la comédie musicale Les dix
commandements, Chante( Didn’t it
rain), Fais-moi un signe (Palaprat, revu dans la tournée Age tendre), Je
crois en toi (Barbelivien), Toi qui m’as tant donné (Gracias a
la vida), Coupo Santo, Notre Père, Il faudra leur dire (Cabrel), La mémoire d’Abraham (Goldman)
et Quand vint la grâce (Amazing grace).
Ce qui frappe d’abord ce sont les auteurs qu’elle a
choisis : Aznavour (à qui elle a demandé, en vain, il y a longtemps déjà,
un « hymne à l’amour ») mais aussi Obispo, Goldman (à qui elle a
aussi demandé, en vain aussi, de lui écrire des chansons, et qui aurait même
voulu la voir en concert un soir, mais le rendez-vous n’a pas eu lieu…),
Cabrel… A peine plus jeunes qu’elle mais, pour la chanson, de la génération
suivante, voire de celle d’après… Comme si, puisque, malgré les sollicitations,
ils ne lui ont rien proposé, elle avait résolu de piocher, malgré eux, dans
leurs œuvres…Alors elle a enregistré une version lyrique et fidèle à l’original de Ave Maria, toute sobre de
L’envie
d’aimer, lumineuse de La mémoire d’Abraham (l’élocution
est bien plus claire que celle de Céline Dion), et Il faudra leur dire, non
pas avec une chorale d’enfants, mais en duo avec sa petite-fille, Nina
Vidal-Guignes.
Ensuite, c’est la signature de David Lelait Helo pour les
paroles de quatre titres : l’inédit Chanter c’est prier et les trois adaptations : Chante,
Toi qui m’as tant donné et Quand
vint la grâce.
Chanter c’est prier constitue un préambule, pour les paroles lui
pour les couplets, elle pour le refrain, et pour la musique Philippe Liotard,
aussi arrangeur de l’album (à l’exception du Notre Père arrangé en
2011 par Tony Meggiorin). Un rockeur et cela s’entend. Hard-rockeur même à ses
heures.
Chante et Quand vint la grâce ont toutes deux pour thème la naissance de la
foi, dans une éruption de joie pour Chante, plus dans l’intériorité et
la sobriété pour Quand vint la grâce.
Toutes les chansons
ont une histoire et celle de cette chanson-là n’est pas légère. Chant
traditionnel devenu hymne des opprimés et des esclaves qui ont trouvé dans la
foi une porte ouverte…la mémoire qu’on
n’efface pas, même si de cela il ne
reste rien dans l’adaptation de David Lelait. Si Quand vint la grâce parle
encore, après un début en forme de « Gloria », sur un rythme presque
épique, de la rencontre avec Dieu, ceux que ce thème lasse peuvent y entendre
l’histoire d‘une autre rencontre : celle de la femme avec l’homme de sa
vie, d’abord triste et seule puis relevée, illuminée quand elle est aimée, et
la mélodie est tellement belle…
Mais la plus belle, la plus personnelle, la plus intime, est
probablement Toi qui m’as tant donné. On reconnaît à peine l’original tant
elle semble écrite pour la chanteuse. La chanson, plus riche aussi bien
musicalement que pour les paroles, aurait pu venir heureusement remplacer en
concert Vous m’avez tout donné; il y a là le thème et les mots, la
sérénité de cette dernière, avec l’intensité de Je ne suis qu’une femme,
et plus encore : la densité de l’album A mi-vie, et même la
phrase finale, en espagnol (« A las cinco en punto de la
tarde » : « Gracias a la vida que ma ha dado
tanto » !). Un hymne à la vie, avec la mélancolie pudique de celle à
qui elle ne fait pas toujours de cadeau. Une véritable re-création plus qu’une
adaptation que les arrangements, discrètement « gospel »,
transforment totalement. Une très belle chanson.
Ensuite ce sont les arrangements et les chœurs qui
surprennent dans Chanter c’est prier.. Arrangements que Michèle Torr a voulu
« modernes », parfois inspirés du rock à la source duquel Philippe
Liotard semble s’être nourri, et cela étonne surtout sur l’hymne provençal Coupo
Santo : pas de touche folklorique, au lieu d’arrangements
traditionnels, ceux choisis par le musicien donnent au chant un souffle épique
en accord avec le sujet : la renaissance de l’identité provençale. Et au
fil des chansons, on entend en particulier d’étincelantes guitares. Chœurs
parfois chantés par Michèle Torr elle-même, avec ses inimitables inflexions,
mais aussi par une chorale parfois discrète, parfois plus présente, qui
teintent l’ensemble d’une belle couleur gospel
(de Toi qui m’as tant donné à Chante) et même rock dans Chanter c’est prier. Fais-moi un signe, la plus
œcuménique « …qui que tu sois, Jésus, Bouddha, Hare Krishna… »), est très
efficace et rappelle
l’insouciance hippie…Les arrangements
de ces chœurs sont signés Marielle Hervé.
Enfin, la voix. Belle, chaude, toute en nuances, elle
rappelle les intonations déjà entendues sur l’album Seule, une des plus
belles réussites de Michèle Torr sur le plan vocal. Elle fait des merveilles
sur l’intense lumière crépusculaire de Je crois en toi qui nous rappelle
que c’est sur les mélodies de Didier Barbelivien qu’elle a souvent brillé.
L’essentiel est donc là: Michèle Torr ne renie pas ce
qu’elle est : une fabuleuse chanteuse… de variétés. Sans se renier. Une
très grande voix, qui a forcé sa
rencontre avec de grandes chansons ayant en commun la foi : en un Dieu,
en son étoile, en son public, en la fortune qui lui permet de faire cette
longue et belle carrière. Au moment où l’unité conceptuelle ne doit quand même
pas faire oublier la diversité musicale, personne ne pouvait lui reprocher un
manque de sincérité : elle a toujours parlé de sa foi, de son intérêt pour
l’histoire des religions, s’est fait photographier avec son fils le jour de sa
communion, avec toute sa famille le jour du baptême de son petit-fils Samuel …
Légitime était sa démarche, même s’il y avait eu entre temps le succès des Prêtres. Plus
originale, sincère, personnelle, qu’un album de chansons de Noël, c’est certain.
Chanter c’est prier est
l’un des plus attachants albums que Michèle Torr ait enregistré mais il a
suscité quelques réserves, y compris dans son plus fidèle public, malgré la
« vraie spiritualité » qui
s’en dégage. Sorti au moment où la chanteuse avait entamé une grande
tournée, pour une remarquable série de dates, autant de stations où la chanteuse espérait retrouver le public qui, malgré le temps et
l’indifférence des médias à son égard, ne
l’oublie pas– remarquable car longue, à l’heure où beaucoup de spectacles et
tournées sont annulés- celle-ci s’est soldée par un vrai succès, même si on a
pu remarquer que l’artiste avait évolué : moins fougueuse sur scène, on
l’a vue davantage explorer l’introspection, et le spectacle était plus adapté
aux théâtres qu’aux grandes salles où il a pu paraître un peu froid et la
chanteuse plus triste. Voie de l’intériorité qu’elle a souhaité continuer
d’explorer avec le spectacle intimiste du Trianon le 18 octobre 2015 et avec la
tournée des églises qui débutera début décembre 2015.
Ensuite, le Notre Père a suscité une petite
polémique: qu’une chanteuse de variété intègre cette prière à un concert n’a
pas été apprécié par tous et si le silence des uns était recueilli, celui des
autres pouvait être gêné. Elle a tout de même choisi de continuer de chanter Notre
Père sur scène, signe qu’elle a davantage interprété ce silence comme
du recueillement que comme de la désapprobation.
A la suite de cet album, dans l’air du temps, Arielle
Dombale a à son tour sorti un album de chansons spirituelles, avant l’album
pluri-interprètes (Anguun, Natasha Saint-Pier…) Sainte Thérèse.
La collaboration entre Michèle Torr et David Lelait sur Chanter
c’est prier s’est muée en une telle complicité qu’elle a tenu à ce
qu’il soit l’auteur d’une des chansons de son nouvel album, Diva,
en 2014/2015, avec pour sujet des histoires d’amour très masculines…Ils
s’aiment, et alors?
La chanson, qui peut sembler n’être qu’une bluette aussi
sautillante qu’insignifiante, enchaînant les clichés sur les homosexuels (qui
aiment les chanteuses et les fleurs, sont plus sensibles et plus
démonstratifs…), n’en comporte pas moins quelques remarques plus graves :
si parfois ils sont la cible des injures, il en fut, en est et, malheureusement,
en sera certains qui ont payé, paient et paieront encore de leur vie leur orientation sexuelle.
Et chanter une telle chanson dans une salle de spectacle, dans une ambiance
d’amour et de tolérance comme à l’Olympia, dans une ambiance de music-hall ou de
café concert comme au Trianon, semble parfaitement adapté. Mais dans une
église? Ce pourrait être particulièrement frappant et courageux, dans ces lieux
ou parfois on rencontre plus de rigorisme, voire d’intégrisme, que de
tolérance, qui est pourtant une vertu chrétienne essentielle… Mais ce serait
sans doute trop provocateur et risquerait de susciter des polémiques.
De façon plus consensuelle, Dieu est, dans Diva
aussi, invoqué comme le témoin privilégié du sentiment amoureux, que ce soit
pour les moments heureux… :
« Sur mon âme en
feu
Je jure crois-moi
Seule et devant Dieu
Je ne veux que
toi »,
Je ne veux que toi,
…ou
malheureux :
“All I want is you
You alone fulfil me
When my inner voice
Cries to God in pain…
Before God above
I swear that it’s true
All you want is love
All I want is you”
All I want is you.
…Dieu simple ou multiple:
« C’est le
Diable et l’Enfer mêlés à tous nos jeux
C’est le Ciel qui est
offert à nous par tous les dieux
Quand tu
m’aimes ».
Quand tu m’aimes.
Mais Dieu est aussi l’instigateur de l’amour
fraternel :
« Tout l’amour
du monde est dans cet instant
Comme une communion
une envie de partage
Tout l’amour du monde
dans un seul instant
Comme un signe divin
un cadeau un message »,
Tout l’amour du monde,
et la chanteuse se montre prête à chanter sa foi dans des
lieux de concert inhabituels, si ce n’est dans le passé, pourquoi pas dans le futur ?
« J’ai parlé de
la paix
Mais aussi de la
guerre
Dans les plus grandes
salles
Même dans les
cathédrales
Du bout du
monde »,
Je ne veux chanter que l’amour.
C’est Guy Mattéoni, l’arrangeur en 1981 de J’en
appelle à la tendresse, l’auteur et le compositeur de cette chanson…
Michèle Torr, son paradis, c’est la scène.
La conclusion de cette chronique pourrait se
faire par la citation d’une expression inspirée et - pardon - détournée, de celle de Sœur Emmanuelle : « Son paradis c’est les autres
». Quel paradis la chanteuse recherche-t-elle ? N’est-ce pas tout
simplement la scène, endroit que l’artiste traverse dans cette quête de
paradis, à la recherche du bonheur éternel, où elle communie chaque soir avec
son public, donne tout pour mieux recevoir, se dévoile davantage avec les
années qui passent pour être un peu mieux comprise et davantage aimée, non plus
seulement pour ce qu’elle représente
mais encore plus aujourd’hui pour ce qu’elle est.
«On ne possède pas le bonheur comme une
acquisition définitive. Il s'agit à chaque instant de faire jaillir une
étincelle de joie. Ne l'oublions pas : ‘’Souris au monde et le monde te sourira’’.»
(Sœur Emmanuelle)
Difficile de témoigner, à travers des chansons,
d’un cheminement spirituel. Cela touche tellement à l’intime… Mais nous avons
la certitude que cette conviction a toujours accompagné l’artiste tout le long
de ces cinq décennies. Issue d’une famille judéo-chrétienne, elle a gardé au
fond d’elle toutes les valeurs chrétiennes qu’elle a manifestées dans son
parcours personnel et professionnel. « La fin d'une vie au cours de
laquelle on a toujours cherché à entrer en communion avec Dieu, la fin de cette
vie terrestre, n'est que le prélude à une symphonie » (Sœur Emmanuelle).
La tournée des églises va bientôt débuter. Comme
si ce nouveau projet était la vraie manière de Michèle Torr de nous donner
rendez-vous pour nous dire « Merci » pour les 50 ans d’amour qui
se sont écoulés. Comme si elle avait enfin trouvé la sérénité pour nous
offrir ce moment de grâce qu’elle voudrait vivre avec son public dans des lieux
de culte provinciaux et –pourquoi pas ?- parisiens.
« Le
véritable amour, solide, durable, est celui qui cherche le bonheur des autres
en même temps que son propre bonheur » (Sœur Emmanuelle).
©ED & GD