mardi 19 août 2014

Michèle Torr ou Cendrillon à la voix d'or


« Elle est née chanteuse » a dit d’elle Maurice Chevalier.
Mais elle a eu aussi la tentation d’aborder le métier d’actrice, nous en avons parlé dans la chronique  Michèle Torr fait son cinéma, avec en conclusion :
Avant d’être actrice, Michèle Torr n’est pas n’importe quoi,
Elle est chanteuse,
« Elle est née chanteuse » (Maurice Chevalier)
Chanteuse.
« A la voix d’or… »…
 Car nous laissions de côté un aspect du métier d’acteur auquel a aussi touché Michèle : actrice de roman-photo. En 1971 Nous Deux a publié Cendrillon à la voix d’or, dont elle était la vedette, dans 25 numéros consécutifs, à raison de trois pages chaque semaine. Voici un résumé de l’histoire.


Un soir sur les bords de la Seine, une jeune femme manifestement désespérée s’apprête à se jeter dans le fleuve.
Il s’agit de Cendrine Mercier, une orpheline, originaire de province. A sa majorité elle a quitté l’orphelinat dans lequel elle a passé sa jeunesse pour devenir indépendante. Ce dont elle souffre surtout, c’est de la solitude : elle n’a pas de famille, pas d’amis, et une seule passion : la chanson, sorte de refuge qui lui a permis de supporter son enfance et son adolescence difficiles. Avec son maigre salaire de couturière, elle parvient tout juste à se loger et à se payer quelques cours de chant auprès d’un vieux professeur qui décèle en elle un talent plus que prometteur. Il l’encourage à partir pour Paris.  Entre temps, elle a fait la connaissance de Michel  Vattier, son voisin de palier, avec qui elle partage chaque soir un repas qui leur permet à tous deux de rompre leur solitude. Il l’aime et tente de la retenir mais elle ne partage pas ses sentiments, et c’est sans beaucoup de regrets qu’elle quitte sa petite ville de province pour la capitale.


Armée de la seule lettre de recommandation de son ancien professeur de chant, Cendrine se rend chez un autre professeur, prestigieux celui-là, Franck Nodier, qui l’éconduit assez brutalement.  Cendrine, humiliée, doit également trouver un emploi pour parvenir à se nourrir et à se loger. C’est dans une librairie qu’elle décroche un travail mais, lorsque son patron lui fait des avances insistantes et que sa femme les surprend, le couple s’accorde pour dire que c’est Cendrine la responsable, et il renvoie la jeune femme. C’est à ce moment que Cendrine envisage de se jeter dans la Seine.



Mais un passant la retient au moment où elle est sur le point d’accomplir son geste. Il la raccompagne chez elle, où elle lui confie la cause de son désespoir : son rêve impossible de devenir chanteuse. Il  la laisse s’endormir, épuisée, avant de s’esquiver.


Le lendemain, à son réveil, la jeune femme trouve à son chevet une lettre  dans laquelle l’inconnu lui prodigue une série de conseils pour parvenir à réaliser son rêve. Elle doit d’abord trouver un nouvel emploi, dans un restaurant cette fois,  où la tâche se révèle épuisante. Malgré cela, motivée par les conseils prodigués par celui qu’elle considère déjà comme son ange gardien, elle commence à participer à des concours d’amateurs tout en continuant de prendre les cours de chant qu’elle peut désormais se payer. Elle participe enfin à une audition pour un rôle dans une comédie musicale. L’impresario Georges Durel, celui d’une célèbre chanteuse, Nadia Nadège, dont il est aussi l’amant,  la remarque et lui propose de faire d’elle une vedette en échange d’une relation dans laquelle Cendrine refuse de s’engager. Georges Durel la renvoie rudement.


Alors Cendrine, ayant toujours sur elle la lettre du mystérieux inconnu du bord de la Seine, courageusement continue de travailler et de chanter à chaque fois que cela est possible.
Mais un jour, la chanteuse Nadia Nadège apprend de son médecin qu’une maladie des cordes vocales la condamne à ne plus chanter pour une durée indéterminée. Alors Georges Durel songe à Cendrine et une idée machiavélique naît dans son esprit.


Quelques jours plus tard Cendrine reçoit une lettre : Georges Durel lui donne rendez-vous dans une maison de disques où elle se rend, et où elle fait des essais concluants : Georges feint de vouloir la préparer pour enregistrer un disque alors que son intention est de « voler » sa voix pour « remplacer » celle de Nadia Nadège, dont le timbre est tout proche, sur de prochains disques.


Cendrine devient donc à son insu la prisonnière de Georges Durel, dont les sentiments pour la jeune fille sont de plus en plus vifs, et de Nadia Nadège, chez qui elle doit s’installer, en Sologne, pour rester à l’abri des regards afin de ménager un effet publicitaire, selon les dires de l’imprésario sans scrupules. Mais la jeune fille commence à avoir des doutes sur les intentions de ses prétendus bienfaiteurs. C’est dans ces conditions, croyant faire seulement des essais, que Cendrine enregistre un disque qui sort bientôt sous le nom de Nadia Nadège. Il obtient un immense succès. Pour fêter ce triomphe, Georges, qui commence à éprouver quelques remords, et Nadia organisent une réception  après avoir demandé à Cendrine de rester dans ses appartements. Sylvain Nérac, un fameux critique musical, y est convié. Cendrine, alors qu’elle regarde par sa fenêtre, reconnaît en lui son sauveur des quais de la Seine, et leurs regards se croisent. L’ayant reconnue, il pénètre dans la maison, trouve le lieu où se cache Cendrine et, après un bref dialogue, ils comprennent que quelque chose de douteux se trame et Sylvain donne rendez-vous à la jeune fille le lendemain. Quand le journaliste retrouve Cendrine au moment prévu, en bordure de propriété, il révèle la vérité qu’il a découverte et tous deux quittent furtivement la propriété de Nadia Nadège.


Désormais, c’est Sylvain Nérac qui s’occupe de Cendrine Mercier : il lui procure un logement, un emploi de mannequin, lui permet de reprendre des cours de chant, lui trouve des chansons ainsi qu’un engagement pour passer en vedette américaine dans un célèbre music-hall. Mais le jour de la première, toujours sous l’emprise de Nadia Nadège, Georges Durel parvient à faire instiller de la drogue  dans une boisson destinée à Cendrine et, au moment où elle entre en scène, elle titube, balbutie, et c’est sous les huées qu’elle doit regagner sa loge. Nadia Nadège croit la carrière de Cendrine finie.


Cendrine quant à elle s’apprête, la mort dans l’âme, à repartir en province quand Georges Durel, poussé par la culpabilité, vient lui proposer de tout révéler du complot que lui-même et Nadia ont ourdi. Cendrine accepte et, après l’émission de télévision qui la disculpe de toute consommation de drogue ou d’alcool, elle reçoit même les excuses de Nadia Nadège dont la souffrance la touche et à qui elle accorde son pardon. Après cela, Sylvain Nérac peut enfin s’occuper vraiment de la carrière de Cendrine qui la mène très vite au succès: disques, scène… et à l’amour puisque les deux jeunes gens s’avouent leurs sentiments mutuels…C’est pour Cendrine la gloire et bel et bien l’amour…

FIN

D’après le roman-photos de Floriane Prévot, paru dans les numéros 1235 à 1260 du magazine Nous Deux en 1971.

De la fiction...

A la lecture de ce roman-photos, on peut se demander pourquoi Michèle Torr a accepté de prêter son visage à l’héroïne Cendrine Mercier.

« Plus personne ne s’intéressait à moi, nous raconte-t-elle. C’était le trou noir. Non seulement je n’avais plus de succès, mais j’avais l’horrible impression d’être le jouet des hommes d’affaires, sans pour autant obtenir de résultats concrets. Je me disais que je n’arriverais jamais à m’en sortir toute seule. Car, si ce métier est déjà dur pour les hommes, il est encore plus difficile pour une femme seule …
Et puis Jean est arrivé…"
Mais qui parle ? Est-ce Cendrine Mercier ? Non, Michèle Torr, à Gérard Gilbert de France Dimanche, en 1987, pour évoquer les années qui ont précédé sa rencontre avec Jean Vidal…

...à la réalité; de la réalité...
Olympia 70

Alors, pourquoi ?
D’abord, à cette époque, les romans-photos étaient à la mode et toutes les chanteuses, mais aussi bon nombre de chanteurs, en devenaient les héros.
Ensuite, alors que de nombreux acteurs ont eu envie de chanter et que beaucoup ont même franchi le pas, les chanteurs se sont aussi parfois tournés vers la comédie et Michèle Torr, que les Japonais comparaient à Catherine Deneuve, a été elle aussi tentée par le métier d’actrice : elle l’avait montré en jouant dans Le Diable aime les bijoux, et même si un roman-photos n’est pas un film, y participer relève d’un vrai travail d’acteur.
Le nom de l’héroïne est amusant : Cendrine Mercier, Michèle Torr, Michèle Mercier, Cendrillon…sont des noms qui se font écho.
Evidemment, le sujet de ce roman ne pouvait que la toucher : cette jeune fille vivant avec l’envie de chanter chevillée au corps lui ressemble beaucoup.
Après, au fil de l’histoire, on peut voir aussi des ressemblances avec sa biographie : Cendrine, orpheline, a pu lui faire penser à son père, élevé par l’Assistance publique.
Michel Vattier n’est-il pas le Michel dont parle la chanteuse dans Ma première chanson ?...
C’est dans une chambre de bonne que Michèle Torr, sa mère et sa sœur Brigitte s’installent à Paris, rue Bergère, en attendant les premiers cachets. Une existence modeste, comme celle de Cendrine Mercier.

...à la fiction.

C’est en participant à de nombreux concours d’amateurs que Cendrine Mercier apprend son métier de chanteuse, comme l’avait fait Michèle Torr, en Provence, dès son enfance.
C’est en perdant un peu de son âme qu’elle fait ses premiers pas dans le métier : les cours de chant qu’elle suit transforment peu à peu sa voix, à son insu, afin qu’elle devienne la doublure vocale d’une autre chanteuse ; de même Michèle Torr a reconnu que sa maison de disques lui faisait chanter des chansons qui ne lui convenaient pas dans un registre vocal qui n’était pas le sien. Faire ses premiers pas dans un tel métier, n’est-ce pas forcément se trahir un peu ?
Et la solitude, le désespoir de Cendrine ont pu lui rappeler des moments difficiles de son passé encore tout proche.
C’est en tant que vedette américaine dans un music-hall que Cendrine fait ses débuts sur  une scène parisienne, et Michèle Torr a été successivement vedette américaine des spectacles de Claude François en 1964 puis Enrico Macias en 1970 sur la scène de l’Olympia. On dirait même que Cendrine Mercier porte la même robe que Michèle Torr.
Michèle Torr a aussi connu les problèmes liés aux impresarios dont on est forcément tributaire lorsqu’on est chanteur (ainsi, Johnny Starck, avec qui on refuse de signer, et qui ensuite, alors qu’il est devenu l’impresario de Mireille Mathieu, essaiera de faire en sorte les deux « rivales » ne soient jamais dans la même émission de télévision. Mais cela n’est probablement que la partie visible de l’iceberg…) Ensuite, elle a rencontré en Jean Vidal celui qui deviendra son ange gardien, son mari et son manager, comme si l’amour était la garantie que l’on peut faire confiance à celui qui gère la carrière de l’artiste. Après lui avoir écrit les paroles de quelques chansons (Les papillons, J’ai arrêté le temps, Le jardin d’Angleterre…) c’est lui qui va créer autour d’elle une équipe qui, à partir de 1973, va enfin la mener sur la voie du grand succès. Comme Cendrine Mercier, Michèle Torr n’a pas choisi la gloire ou bien l’amour, mais la gloire et bel et bien l’amour…


Et, clin d’œil au nouvel album de chansons d’amour inédites que Michèle Torr vient d’enregistrer, on retrouve en couverture de l’un des numéros dans lesquels a été publié le feuilleton Cendrillon à la voix d’or un auteur-compositeur-interprète qui figure dans la liste des auteurs annoncés :
…vous aurez peut-être reconnu Georges Chelon, un gage de qualité d’écriture dont on se réjouit déjà.

© G.D. & E.D.

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