« Mes yeux bleus
Sont un océan
Et tu devras le
traverser un jour
Si tu me veux »,
Mes
yeux bleus, 1976.
Elle a été élue plus beaux yeux (bleu horizon) de la Côte d’Azur, et elle nous lance un défi : traverser une
fois de plus l’océan de ses cinq cents chansons
environ pour tenter, une fois de plus, de deviner, à travers elles, qui
est la sirène qui les a entonnées pour
nous enchanter.
Sirène que son
père « appelle Méditerranée
Depuis le jour
où [elle est] née »,
A mon
père, 1983.
Mi-femme
mi-oiseau migrateur dont la terre natale continue d’exercer son attraction sur
elle:
«Les oiseaux
du voyage
De loin vers
tes rivages
Retournent et
moi je suis comme eux »,
Mon
sud, 1993.
La Provence,
terre d’eau, pays d’Aygues dont elle est originaire, bordée par la Grande
Bleue.
Destination
privilégiée de vacances qui va attirer encore cet été son lot d’estivants.
« Je chante quand je vois la mer
Et que le
sable est encore chaud… »
Je ne
sais pas pourquoi, 1977.
Pourquoi ?
La mer, le sable, ce sont les vacances, tout simplement. Le farniente.
Et puis « C’est
joli la mer
Au sable fin
des jours… »
C’est
joli la mer, 1987.
La
mer, la sienne, c’est celle aussi de Charles Trenet, avec ses golfes,
ses reflets d’argent, ses reflets changeants, la mer, bergère d’azur qui
confond ses blancs moutons, qui danse et qui berce les cœurs. 1987.
Peu importe au
fond pourquoi
« Un
chant de sirènes
Toujours me
ramène
Aux
délectables
Souvenirs de
sable
J’ignorais
Qu’un jour
j’aimerais jaune »,
Un
chant de sirènes, 1995.
Tel Ulysse
attaché par ses marins à son mât, et quoi qu’il nous en coûte parfois, nous ne
nous lassons pas d’écouter cette femme-qui-chante-là.
La mer, c’est donc d’abord une destination
privilégiée pour les vacances, pour rompre la monotonie du quotidien, pour fuir
la ville, pour fuir sa vie quand elle nous rend le cœur chagrin, juste pour
quelques temps:
« Seule dans le jour qui s’enfuit
Seule entre quatre murs gris
Je rêve d’une plage
D’un soleil qui m’aiderait à
t’oublier
Dans chaque rue de Paris
Je ne vois plus que l’ennui
Je rêve d’une plage
Où je pourrais trouver un autre
amour…
Je rêve d’une plage
D’une plage où j’essaierais de
t’oublier… »,
Moi je rêve d’une plage,
1965.
« Quand
je lis mon journal intime
Avec ces
prénoms anonymes
Je n’ai plus
qu’à imaginer
Un coin de
Méditerranée »,
Chanson
napolitaine, 1985.
Alors on part
à la mer. Les enfants apprécient :
« Sais-tu petit où je t’emmène
C’est vrai
là-bas il fait beau
Tu feras des
châteaux de sable
A quelques mètres de l’eau…
Au soleil…
C’est le
soleil qui fait briller la mer… »,
Soleil,
1976.
Et les parents
aussi.
« Il est
midi un quart
Et les
senteurs marines
Inondent les
quartiers
Surchauffés
d’émotion »,
A l’heure de
l’apéritif,
Amour
de ma jeunesse, 1985.
Là-bas, la vie
n’est pas compliquée. Les vacances, c’est le moment des rencontres et des
retrouvailles.
« Le soleil ne brille pas ici dom dom dom
dom
Et la plage est vide aujourd’hui
dom dom dom dom…
Mais là-bas au bout de la plage
dom dom dom dom
Je te vois tu reviens vers moi
dom dom dom dom
Tous les trains peuvent s’en
aller
Puisque je suis dans tes bras
La plage est remplie de joie
Et le soleil brille… »,
Dom dom, 1966.
On profite de la fraîcheur de l’eau et on
s’amuse.
« On a couru tous deux
Et l’on s’est baignés
Il m’a jeté de l’eau
Riant aux éclats
Et se moquant de moi
Qui n’aimais pas ça…. »
Doucement simplement tendrement,
1966.
Et le soir, on danse, on fait la
fête.
« Toute la plage danse
Des soirées entières
Toute la plage danse
Sur notre air… »
Toute la plage danse,
1967,
sur des
musiques festives :
« Côté
soleil
Rien ne sera
plus pareil
Quand on bat
la musique
Couleur du
Pacifique »,
Côté
soleil (La couleur des mots), 2005.
On profite aussi de moments plus « romantiques » :
« Bleu comme la mer qui se confond avec nos yeux »,
Bleu, 1975,
et on s’aime :
« Moi je t’aime pour le bruit le silence
Pour les nuages et pour les océans », et pour
Un mot de toi, 1986,
sur tous les rivages :
« Océan océan
Atlantique Pacifique
Romantique électrique… »,
Océan, 1979.
« Les matelots les pirates
Pacifiques
L’océan vient danser... »
Rue de la Jamaïque, 1983.
La mer, c’est le rêve de tous les enfants qui ne l’ont pas encore vue :
« Ah ! mon Dieu qu’il était grand
Mon ami l’océan
Dans tes rêves d’enfant
Mets ton cœur au fil de l’eau
Danse encore sur les flots
Du voyage en bateau »,
Le voyage en bateau, 1984,
et c’est aussi des images de cartes postales :
« Je t’avais rapporté
Des couchers de soleil sur fond de Méditerranée
Des voiliers dans le vent
S’éloignant du rivage
Des sourires d’enfants
Courant sur la plage »,
Je t’avais rapporté, 1988.
« Une vague bleue qui veut m’emporter
C’est comme un amour qui aurait existé
C’est comme un soleil là-haut dans le ciel…
C’est comme une histoire que j’aurais inventée
C’est comme le vent un soir de printemps…
C’est comme un secret que j’aurais bien gardé
C’est comme une fleur posée sur mon cœur …
C’est comme un espoir que j’aurais effleuré
C’est comme un bateau voguant sur les flots…
Ce n’est rien que moi
Tombant dans tes bras…dansant avec toi…
Dormant contre toi… rêvant près de toi… »,
Une vague bleue, 1974.
(C’est probablement de toutes ses chansons sur le thème celle-ci que Michèle Torr aime le plus. Elle n’est peut-être pas de celles que l’on diffuse encore sur les radios mais ceux qui ont plus de trois fois vingt ans se la rappellent faisant un tabac dans les bals. Et elle fait partie de la liste des chansons de la plupart des spectacles de la chanteuse. Elle fut de tous les Olympia et on l’a encore entendue dans le medley de celui de janvier 2015, Amour, toujours.
Mais l’un des plus beaux moments concernant cette chanson s’est produit un soir de janvier 2013, lors de la tournée qui a suivi la sortie de Chanter c’est prier, En concert avec vous. Alors que la chanteuse venait de commencer à interpréter la chanson, tout-à-coup tous les instruments et les choristes se sont tus, et l’on n’a plus entendu que la voix de la chanteuse qui, ne sachant pas que la table de mixage venait de rendre l’âme, a continué de chanter sans du tout forcer sa voix, croyant qu’elle était encore portée par le micro. Le retour devait se faire normalement dans les oreillettes et les musiciens ont continué de jouer, comme si de rien n’était. Quand se sont-ils rendu compte qu’il y avait un problème ? Eux seuls se le rappellent, mais ils ont laissé Michèle Torr chanter Une vague bleue jusqu’au bout, voix seule et toute faible, comme une petite flamme vacillante mais têtue, sans aucun artifice, alors que lorsqu’elle chante à capella Mon Dieu, La quête ou bien La ritournelle, il y a toujours un micro d’ambiance quelque part, et quelques notes de piano… Les spectateurs dans la salle ont retenu leur souffle durant toute la chanson, pour entendre au mieux la voix pure, avec l’impression de voir un funambule sur un fil, prêt à tomber dans le vide. Mais la voix n’a pas failli, elle a continué de venir s’échouer au bord des oreilles, tout doucement, régulièrement, comme autant de vagues se succédant, couplet, refrain, couplet, refrain, jusqu’à la fin. C’est comme si on l’avait surprise, nue, dans un moment intime, avant qu’elle ne s’enfuie, comme effarouchée, quand elle a su qu’il y avait eu un problème. Quand elle est revenue, dix minutes plus tard, une fois la table de mixage remplacée, nous privant de Je te portais dans mon cœur, Le pont de Courthézon nous a paru assourdissant. Un moment émouvant).
On répond à l’appel du large, quand on a besoin d’évasion :
« Un sac marin et un blouson…
Prendre un bateau comme un aveu
Rêver en regardant la mer
Capitaine Cook bateau corsaire »,
Partir un jour, 1988
Les îles sont des destinations très appréciées :
«Tu rêves tout éveillé
A des îles ensoleillées
Tu vois la mer qui scintille… »,
Tous les oiseaux reviennent, 1970.
On a le sentiment qu’on y trouvera la quintessence de tout ce qu’il y a sur les plages continentales, avec la foule en moins. Besoin de solitude, ou du moins d’isolement. De davantage d’intimité. Pour mieux se ressourcer. Ou mieux s’aimer.
« L’amour
Comme un voilier
Vogue toujours
Là où la mer berce les îles
Où sont cachées nos plus belles idylles
Pour nous apporter mille secrets qui font rêver… »,
Comme un voilier, 1977.
Alors que dans le port d’Amsterdam (1998) les hommes pissent sur les femmes infidèles avant de pleurer comme des enfants.
Car l’homme et la mer vont de pair. C’est par elle qu’il vient :
« Sur ton bateau tu es venu
Dans un soleil d’île lointaine
Sur le quai triste à temps perdu
Pour toi rôdaient tant de sirènes…»,
C’est joli la mer, 1987.
C’est la mer qui le fascine :
« Tu as les yeux d’un homme
Que tous les océans n’ont pas su retenir »,
A faire pleurer les femmes, 1982.
« Le vagabond du soleil regardait les bateaux
Mais ne voyait que toi…
Il t’a promis l’océan et les roses… »,
avant de prendre le large,
Le vagabond du soleil, 1982.
Dans Tant je t’aime on découvre au Havre la maison d’une femme dont l’homme aimé semble s’être volatilisé, à l’image de ces pêcheurs dont le retour demeure incertain. Car « c’est la mer qui prend l’homme » et Dieu seul sait s’il reviendra. Mais cette femme-là, quoi qu’elle dise au début, semble craindre ou bien savoir qu’elle ne le reverra pas. Paroles de Michèle Torr.
« J’ai cloué sur la porte
Une lampe tempête
L’océan est si bête
Qu’il te ramènera
Quand mon cœur certains soirs
Se prend pour un poète
J’ai le roulis c’est pas grave
Puisqu’il pleut sur Le Havre
Un port c’est toujours triste
Quand se lève le jour
Il n’y a plus de femme plus d’artiste
Où vont les mots d’amour…
Sur les quais métaniers
Où se dockent les souvenirs
Les marins fatigués
N’osent plus repartir…
Tu parlais de cargos
Aux prénoms norvégiens
Moi de pays chauds
Où chantent les matins
Nous rêvions d’Amérique
D’île au trésor
Que c’est beau la Baltique
Qui épouse la Mer du Nord…
J’ai refermé la porte
De ma tour de mon phare
Je rêve que le vent me porte
Mais ce n’est qu’illusoire…»,
Tant je t’aime, 1997.
La femme amoureuse est prête à tout :
« J’irais dans les eaux profondes
Si tu me le demandais »,
Hymne à l’amour, version de Michèle Torr, 1987,
et même à en mourir, à l’image d’une héroïne shakespearienne : Ophélie.
« Il fait si noir au fond de l’eau
Lac argenté
Je m’abandonne à tes baisers…
O ta blonde Ophélia
Dans l’onde qui se noie
Je me donne à mon roi »,
Ophélia, 1991.
Ophélie était folle comme parfois l’homme est fou :
« …la mer en folie…
C’est toi, mon amour,
C’est toi… »,
Le jardin d’Angleterre, 1976.
De façon plus personnelle et intimiste, la chanteuse s’est servie de la mer, des océans, pour parler de son fils ou des sentiments qu’il lui a inspirés, enfant :
« Mon fils quand tu seras grand
Grand comme les buildings
Grand comme l’océan
Mon fils tu auras vingt ans…
Pourtant n’oublie jamais
L’amour est un long chemin
Long comme le désert
Bleu comme la mer… »
Mon fils, 1980.
Elle a évoqué aussi le moment de sa vie où, à sa naissance, elle s’est retrouvée fille-mère, sa conscience du temps qui passe et des moments à jamais perdus :
« On ne voit pas passer le temps
On se retrouve en soupirant
Quelquefois mère ou femme enfant
On voudrait revenir en arrière
Revivre ces anniversaires
Les vacances au bord de la mer
Les regrets après les espoirs
S’éteignent toujours dans le noir
Sur la plage de la vérité
Comme un navire comme un noyé »
Le temps, 1984.
Superbe chanson écrite sur mesure par Rodolphe Hassold, qui était à l’époque journaliste à France Soir. C’était sur l’album Donne-moi la main, donne-moi l’amour et elle trouverait pleinement sa place dans un spectacle intimiste… Il lui a écrit une autre chanson l’année suivante :
« Comme un vieux bateau égaré
La France venait de chavirer »,
à propos de mai 68, Une femme d’autrefois, 1985. Conservatrice.
A l’idée de voir partir son fils pour son service militaire, elle s’est écriée :
« Ne me prenez pas mon fils
C’est mon ciel et c’est mon île »,
Ne me prenez pas mon fils, 1986.
Quelques années plus tard, c’est son fils qui lui a donné sa première petite-fille :
« Tu es une île un paradis… »,
Charlotte, 1999.
Elle s’est aussi servie de la mer, des océans pour parler de sa relation à son public :
« Entrer sur la scène
Et crier Je t’aime
Comme si l’on prenait le même bateau
Bateau musicien
Bateau baladin
Sur un océan couleur de bravos »,
Entrée des artistes, 1982. C’était la première de l’Olympia 82.
« Le public est un phare »,
Avant d’être chanteuse, 2011.
La première et l’avant-dernière ! de l’Olympia 2011. Magnifique.
Nous avons déjà évoqué
« Ce bateau naufragé
Prisonnier sur la mer… »,
La déchirance, 1979,
et le problème très actuel des migrants sur les mers du globe,
ainsi que celui de ces Juifs, pour la plupart rescapés de la Shoah, qui se sont embarqués avec l’espoir de retrouver leur terre d’origine sur un bateau avant d’être ramenés en Allemagne. Quelques mois plus tard, l’état d’Israël allait être reconnu :
« Ils sont partis courir la mer…
Ils ont pleuré les larmes de la mer…
Ils sont là-bas dans un pays nouveau
Qui flotte aux mâts de leurs bateaux »,
Exodus, 1976.
Sur un autre sujet, Christiane Mouron lui a prêté ses mots pour déclamer un magnifique hymne à la vie dont la nature fait éminemment partie :
« Folle de la Terre
Des océans… »,
Et si plaisir d’amour, 1986.
Mais l’homme abîme la nature et la pollution est un fléau par quoi les mers et les océans sont
Les premiers souillés :
« Le ciel noir fumée d’usine
Le bleu pétrole de la mer
Sont les couleurs qui dominent
Aujourd’hui sur cette Terre… »
Pour vivre heureux, 1976.
La pollution, Michèle Torr la dénonçait déjà en 1971, au festival de la chanson de Tokyo où elle a été très remarquée :
« Si la mer devient cimetière
Pour les arbres et pour les poissons
Et si les moissons de la terre
Meurent dans les sillons
Dites-moi que sera le jour à venir
Et comment pourrez-vous grandir
Enfants d’aujourd’hui destinés à vivre
A vivre ou mourir en hommes de demain »,
Enfants d’aujourd’hui, homme de demain, 1971.
Inquiétude pour l’écologie, mais aussi quant à la survie de l’humanité. Parmi tous ces phénomènes liés à l’effet de serre, la fonte des glaces…
Dans la mer, les huîtres, et dans les huîtres…la perle.
La chanson date de 1995 et c’est encore d’amour qu’elle parle. Encore une fois de la femme quelque peu délaissée par son homme, comme dans Emmène-moi danser ce soir et dans tant d’autres. Mais ici, le principal grief, ce n’est pas « ton fauteuil, ton journal, tes cigarettes et la télé », c’est… le plaisir charnel. Car à trop avoir été négligée, madame finit par se sentir aussi froide… que la banquise, mais, dès lors que monsieur l’emmène danser, ou sait se servir avec précision de ses lèvres, c’est en râle amoureux que se transforme son chant. Et la femme frigide se métamorphose, au contact de ces lèvres expertes, en femme-fontaine. Après cela, elle se dit prête à tout… Mais à quoi ? Chhhhuuuut !
« J’attendais que tu m’y emmènes
Pour un jour moi aussi aller
Là où fond la banquise
Tout contre toi
Des sensations exquises
A chaque fois
Et je jure que je t’aime
Oui je jure que je t’aime…
Si nous dansons seuls tous les deux
Perdus dans la foule
Quand tes bras m’enserrent de leur mieux
Sens-tu de mon ventre la houle ?
Car pour l’amour l’un de l’autre
Rien ne nous effraie
Et lors des nuits comme les nôtres
Il n’est rien que je ne ferais
Là où fond la banquise
Et je me noie
Des sensations exquises
A chaque fois
Tes lèvres se font précises
J’entends la musique
Alors là où fond la banquise
Tu me fais rêver
Et je jure que je t’aime… »,
Là où fond la banquise, 1995.
Tombée en pâmoison, elle se dit aux septièmes cieux et nous jure tout ce qu’on veut. Et l’on se sent magicien !
Et l’on se sent magicien, encore, avec pour seule baguette magique, après ses lèvres et ses bras, …ses doigts, quand Charles Aznavour fait dire à la Diva:
« C’est l’écume des mers
Qui se meurt sur tes doigts
Quand tu m’aimes»,
Quand tu m’aimes, 2014.
Il peut en effet avoir l’œil qui frise, Charles, après lui avoir fait chanter cela!
Espérons que cette petite chronique estivale vous aura plaisamment accompagnés au long de ces jours où vous aurez pu profiter de la mer, des océans, des îles et des plages… et de l’amour. Et que vous vous serez fait de :
« …délectables
Souvenirs de sable »,
non sans écouter un chant de sirène.
« Dans l’intimité
C’est l’amour en liberté… »,
Pendant l’été, 1980.
Fin.
©ED & GD.