Nous avons rencontré M. Alain Turban à l’Olympia le 11
janvier 2015. C’est au cours d’un long entretien téléphonique qu’il nous a
parlé, au début du mois de mars, de Michèle Torr. Nous lui avons demandé de se
présenter pour ceux qui le connaîtraient mal, puis de nous parler de ses liens
avec Michèle Torr, avant de nous raconter la genèse de Route 66. C’est en toute simplicité, et avec beaucoup de franchise,
qu’il nous a répondu. Et nous l’en remercions. Voici ce qu’il nous a dit.
Je suis né artistiquement dans les années 80, dans les
années « disco », avec Quatrième
dimension, Santa Monica et, en
84, On s’écrivait Annie.
Depuis 87, je m’en suis sorti avec d’autres chansons car
j’ai un autre répertoire, avec des chansons comme Mystique, De l’autre côté de
la vie… Je ne veux pas me contenter
de chanter toujours les mêmes chansons. Je peux très bien faire des concerts
sans chanter mes tubes des années 80, avec des chansons qui les remplacent
largement, comme Turbanovitch, Manouchka…J’ai des racines russes par
mon père et je fais de la musique qu’on pourrait parfois qualifier de Musique du Monde, je suis assez
éclectique dans mes choix. Comme le fait d’ailleurs Michèle qui aime beaucoup
le cirque et en a sur le sujet une ou deux je crois, j’ai une chanson sur le cirque Médrano, sur les clowns. Je
parle aussi d’Henri Charrière, ce bagnard très connu sur qui il y a eu un film
avec Steve Mc Queen: Papillon. Je
n’écris pas que des chansons d’amour, je
ne suis pas vraiment un chanteur sentimental. J’ai fait un hommage à Jean
Cocteau et Jean Marais. J’ai aussi monté ma structure, une société de
production et d’émissions qui porte le
nom de Pony Music. Je fais de la scène, je me produis. Mon dernier album qui
s’appelle Poulbot est sur Montmartre,
parce que je suis né à Montmartre. Il est sorti il y a deux ans. Et après, j’ai
créé La légende de Montmartre, à
l’Olympia. Auteur et compositeur, j’ai fait beaucoup de musique et ma vie,
c’est d’avancer. J’ai aussi écrit un
livre qui s’appelle Un taxi vers les
étoiles où je parle de mes vingt ans, quand j’étais chauffeur de taxi à
Paris : j’ai été chauffeur de Gainsbourg, de Johnny, de Polnareff, de tous
ces gens-là. Bref, je ne ressasse pas le passé, je ne déverse pas toujours les
mêmes chansons, j’ai besoin d’avancer, je vais de l’avant, vers le futur…
Je connais Michèle depuis bon nombre d’années puisqu’on a
fait des plateaux de télévision ensemble dans les années 80, à l’époque des
radios libres. Je connaissais l’artiste et l’appréciais pour ce qu’elle
chantait, je connaissais ses chansons et un jour, j’étais allé la voir. C’était
il y a fort longtemps, je ne me rappelle plus la date, elle était venue chanter
dans le midi de la France, en Ardèche, à Ruoms
plus précisément, où j’avais une maison. Elle s’était produite sous
chapiteau, je crois pour les vignerons ardéchois. C’est là que j’ai été la
voir, et que je l’ai rencontrée pour la première fois. C’était il y a 25 ans
environ. Après il y a eu d’autres artistes, comme Bruel par exemple, qui sont
venus aussi.
Ensuite, on s’est retrouvés car j’ai fait près de deux ans
sur Age tendre : j’ai fait la
cinquième tournée, la plus grosse, dans
laquelle il y avait Michèle, et après j’ai fait une quinzaine de dates, il y a
un an un an et demi. Sur la tournée supplémentaire, avec Georges Chelon, Alice
Dona. Michèle n’en a fait qu’une date, à Périgueux…
Ce que j’aime chez Michèle, c’est qu’elle chante
merveilleusement bien, c’est une belle interprète. Je trouve sa carrière
formidable. D’abord, c’est quelqu’un qui n’a pas eu une vie facile,
sentimentalement, et qui a dû toujours se battre corps et âme. Et puis c’est quand même extraordinaire d’être partie d’où elle est partie, si jeune,
d’avoir fait ce radio-crochet à l’époque, grâce auquel Jacques Brel lui a
proposé de faire sa première partie.
Puis elle est passée de l’époque yé-yé à l’époque des années
70, puis des années 70 aux années 80 ; ces virages ont été bien vus. Dans
les années 60, je me souviens que tous
les gens, comme Marcel Amont, comme Georges Guétary, comme Line Renaud, et j’en oublie, tous ces gens-là
ont été balayés par l’époque yé-yé, et puis dans les années 80, tous les
chanteurs des années 70 ont été balayés aussi, parce que les modes musicales,
ce sont des vagues. Il y a des artistes qui repartent avec la mode par laquelle
ils sont arrivés. Il faut se méfier de cela. Bien sûr il y en a qui bénéficient
d’un élan nouveau. Michèle a su, elle, surfer sur les modes, même si pour durer, il faut des
tubes. Elle a eu des chansons qui le lui ont permis, comme Discomotion, la chanson de C.Jérôme, et François Valéry qui lui a fait Emmène-moi danser ce soir. Mais ensuite
elle a su prendre le virage vers les années 80. Après, il y a eu des moments
moins faciles dont il est un peu question dans Route 66. Ce n’est pas que les médias ne s’intéressent pas à elle,
mais elle fait partie de ces artistes qui ont la chance de rester un peu
intemporels. Et les artistes n’ont jamais de fin, tant qu’ils chantent, ils
existent et après ils continuent
d’exister dans la mémoire des gens…
Michèle a eu la chance d’avoir des tubes, parce qu’il faut
des tubes, mais il ne faut pas rester
bloqué sur les chansons d’une époque, Michèle le sait très bien. C’est aussi
pour cela que j’apprécie son côté mystique. Pas religieux mais presque. Elle se
rapproche du sacré. Cela lui a permis de renouveler un peu son répertoire.
D’ailleurs, je lui ai envoyé une chanson mais elle ne m’a pas encore donné de
réponse. Elle s’appelle Au nom de la
croix. Peut-être qu’elle la retiendra pour sa tournée des églises : Chanter c’est prier.
A ce sujet, j’ai une chanson pour elle que je chante depuis
des années, qui s’appelle De l’autre côté
de la vie. Il y a un ou deux ans, je
la lui ai soumise sur la Tournée Age
Tendre mais elle m’a dit :
« Oh ! non,
le titre est beau mais ça me fait un peu peur de parler de ça ».
C’est pourtant une belle chanson que les gens adorent. Si
Michèle l’avait chantée, cela aurait été énorme, mais elle n’a pas cru bon de
le faire. Pourtant, je n’y parle pas seulement de la mort :
« De l’autre côté de la vie
Des mots de lumière je t’écris
Entre le silence et la nuit…
De l’autre côté du miroir … »
Les artistes, on parle de ces choses-là, on parle de la vie,
on parle de la naissance, il faut parler de la mort aussi, puisque c’est un
passage obligé.
Mais je n’avais jamais travaillé pour Michèle avant. Route 66 est née sur la tournée Age tendre et tête de bois, quand j’ai
vu un prospectus parlant du spectacle que Michèle devait faire à Las Vegas. Ce
qui m’a interpelé, c’est quand j’ai vu la photo de Michèle prise à Santa
Monica. Vous n’êtes pas sans savoir que mon plus gros tube a été Santa Monica, donc j’ai pensé que ça
serait sympathique de faire une chanson pour Michèle qui parle de l’Amérique et d’une rencontre
amoureuse qui se terminerait à Santa Monica.
Je m’y suis mis:
« Un coucher de soleil sur la route 66 …».
Dedans, j’ai glissé une allusion à ses parents car je sais
qu’elle parle souvent d’eux et de sa
famille…
On a fait une maquette, avec Mario Santangeli, qui est le compositeur, que j’ai fait écouter à Michel Algay, et ensuite j’ai pris rendez-vous avec Michèle
que je suis venu voir à Lille dans sa loge. Je lui ai soumis la chanson: je lui
ai mis les écouteurs dans les oreilles, elle l’a écoutée, et elle l’a tout de
suite aimée et c’est pour ça qu’elle l’a enregistrée. C’était il y a plus d’un
an…C’est une chanson qui change un peu de ce qu’elle fait d’habitude, même si
elle parle quand même d’amour. Sans vouloir être prétentieux, elle l’emmène un
petit peu autre part. L’orchestration que nous avions choisie pour la maquette
était un peu plus branchée, un peu plus moderne, un peu plus californienne, et
Guy Mattéoni en a fait autre chose. Ainsi elle correspond peut-être mieux à l’artiste. Après tout,
c’est sa voix, c’est elle qui décide, quand même. Elle m’a dit qu’elle allait
répéter Route 66 pour la mettre au
Casino de Paris. Qu’elle voulait peut-être reprendre une ou deux chansons de
Mistinguett. C’est une fameuse idée. Par ailleurs, pour cette occasion, Mario
Santangeli et moi lui avons écrit une chanson qui s’appelle Au Casino de Paris. Je la lui ai
proposée mais elle m’a répondu : « Je suis désolée mais je ne la
chanterai pas ».C’est dommage mais c’est son choix.
Alain Turban, Bernard Sauvat, Michèle Torr, Herbert
Léonard. |
Elle m’a dit aussi qu’elle avait envie de faire un tour de
chant différent de son dernier Olympia, que j’ai trouvé superbe, très, très bien, en particulier musicalement,
avec de très bons musiciens. Un très bel Olympia.
Je trouve que dans son nouvel album, Diva, il y a de jolies
chansons comme Diva, ou comme
d’autres. Je suis ravi qu’il sorte dans
les bacs le 13 avril, la conjoncture actuelle n’est pas tellement favorable.
C’est tellement dur que les maisons de disques sont réticentes: ils vont vendre
des disques avec tous les anciens succès mais les nouveautés, c’est plus
difficile, même si elle est connue, quand même, Michèle. Toujours est-il que
c’est une évidence, plus le disque est
exposé, plus il a de chances de se vendre.
Michèle Torr, ce qui la caractérise, c’est son
opiniâtreté ; elle est opiniâtre. Et elle s’aiguise, elle se peaufine avec
le temps. Et elle est humaine, ce qui n’est pas le cas de certains artistes. Chacun
a sa chapelle, chaque artiste regarde son nombril. Il n’y a pas que les
artistes qui le font, c’est humain en général. Je pense aussi être comme ça
mais pas complètement, je pense aussi un peu aux autres. Personne n’est le
centre du monde. Je la sens très humaine, avec son public, avec les gens. Elle
aime les gens qui l’aiment, certes, mais elle leur donne aussi de l’amour. Elle
déborde d’amour pour son public.
Fin.
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